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dans sa patrie des progrès de la vaccine. Toute sa vie ne fut qu’une lutte contre l’ignorance du peuple et l’entêtement des moines. Ce médecin, qui savait apprécier les découvertes utiles, présenta à l’académie des sciences de Madrid un mémoire sur l’application de l’électricité à la production des signaux. Le prince de la Paix voulut examiner ses appareils, et, charmé de la promptitude des effets, il les fit fonctionner lui-même en présence du roi. À la suite de ces essais, l’infant don Antonio, fils de Ferdinand, fit construire, un télégraphe semblable, qui embrassait un espace fort étendu.

Toutefois un télégraphe électrique, fondé sur les seuls phénomènes d’électricité que l’on connaissait à la fin du siècle dernier, ne pouvait, en aucun cas, être considéré comme un appareil sérieux. On pouvait en faire une curieuse machine de cabinet, mais il était impossible de penser à l’appliquer au dehors sur une échelle étendue. À cette époque, on ne connaissait, en effet, que l’électricité statique, c’est-à-dire celle qui est dégagée par le frottement ou fournie par les machines électriques et les bouteilles de Leyde. Or, l’électricité provenant de cette source ne réside qu’à la surface des corps qu’elle occupe, et tend continuellement à s’en échapper. C’est une électricité animée d’une grande tension, comme on le dit en physique. Il résulte de là qu’elle abandonne ses conducteurs sous l’influence des causes les plus difficiles à saisir et à apprécier d’avance ; l’air humide, par exemple, suffit pour la dissiper. Un agent aussi difficile à manier et à contenir ne pouvait, en aucune façon, être utilisé dans le service télégraphique. C’est dire assez que toutes les tentatives faites jusqu’à la fin du siècle dernier pour plier l’électricité aux besoin de la correspondance entre les lieux éloignés furent frappées d’une impuissance radicale. Après trente ans de travaux et de recherches inutiles, on abandonna comme impraticable l’idée de la télégraphie électrique ; on dut revenir à l’emploi des signaux formés dans l’espace et visibles à de grandes distances.

C’est à cette époque, c’est à la suite de ces travaux infructueux que le télégraphe aérien aujourd’hui en usage en Europe fut découvert en France par la patience et le génie de Claude Chappe ; mais, avant d’en venir à une découverte qui a si dignement marqué dans l’histoire de la civilisation moderne, il convient de signaler quelques recherches intermédiaires qui l’ont précédée sinon préparée.

Dans ses Mémoires sur la Bastille, le journaliste Linguet revendique, jusqu’à un certain point, l’honneur de la découverte du télégraphe français. Par suite de son humeur agressive et inquiète, Linguet passa, comme on le sait, plusieurs années de sa vie à la Bastille. Dans les loisirs forcés de sa captivité, son imagination ardente continuait de se donner carrière. Comme il s’était occupé de tout, Linguet avait fait quelques études sur la lumière ; il a même publié quelques pages sur cette question. C’est à la suite de ses observations d’optique qu’il fut conduit à imaginer un plan de télégraphe aérien. Il proposa au gouvernement d’en révéler le secret en échange de sa liberté ; il ne donnait cependant aucune description de sa machine, disant seulement qu’elle avait beaucoup d’analogie avec un outil très employé dans les ateliers. On ne voulut pas écouter le journaliste, et, peu de temps après, le ministère le laissa sortir sans conditions. Une fois dehors, Linguet oublia sa découverte ; il ne s’en souvint qu’au bout de plusieurs années, pour revendiquer, vis-à-vis de Claude Chappe, la découverte du télégraphe.