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ligne blanchissante de l’horizon, est ménagée avec une délicatesse étonnante. Une silhouette d’olivier au feuillage clairsemé, placée sur une éminence à l’arrière-plan, fait très habilement valoir le ton argenté de l’aube. Quant aux lignes générales, elles sont nobles et sévères. J’adresserai à M. Corot une seule observation : comment se fait-il que la robe et la tête du Christ soient si fortement éclairées ? Le jour n’est évidemment pas assez fort pour produire un effet aussi intense.

La pratique de M. Corot s’est perfectionnée dans ce tableau sans que le charme naïf y ait rien perdu. Pas de ces gaucheries de pinceau, pas de ses maladresses devant lesquelles les jeunes peintres chevelus se pâment, de manière à faire croire qu’ils ne comprennent pas les beautés réelles. Dans une Vue prise à Ville-d’Avray, il y a sur le premier plan un certain arbre dont le feuillis décèle une inexpérience telle qu’on pourrait la croire affectée, si tout le monde ne connaissait la candeur de M. Corot. C’est justement ce qu’admirent nos fanatiques. Ce paysage ressemble du reste un peu trop à une grisaille. Les trois autres sont bien supérieurs. Le Site du Limousin nous montre des bois d’une légèreté sans égale, sous leur voûte ombreuse, une eau lente à reflets métalliques, comme celle qui coule sur un fond d’ardoisières. Trois ou quatre vaches traversent processionnellement ce gué solitaire à la chute du jour. La Vue de Volterra est non moins poétique, dans une gamme tout-à-fait différente. Le soleil d’Italie illumine un paysage accidenté. Sur une éminence à droite, on aperçoit les maisons et le dôme de Volterra. Au premier plan, des plus tordus élèvent leurs vastes parasols. Au pied, des genêts et quelques broussailles se mêlent aux touffes de ces plantes aromatiques que la nature a semées sur le sol aride de l’Apennin, et dont l’âpre senteur enivre quand le soleil de midi chauffe la terre et que l’essaim laborieux des abeilles parcourt en bourdonnant les collines. La Vue du Colisée est une admirable étude gardée depuis long-temps par M. Corot dans son atelier, et l’on doit savoir gré à l’artiste de l’avoir exposée. Comme vérité de tons et justesse de lignes, il est difficile de rien voir de mieux que ce petit tableau, pris du mont Palatin, où sont les ruines du palais des Césars, au-dessus de l’arc de Titus et en face des hauteurs de Frascati, qui se dessinent si harmonieusement dans le fond brillant du ciel. Les gigantesques pans en briques rouges du Colosseo, si bien nommé, dominent toutes les constructions pygmées qui se pressent autour. Le peintre a su choisir si habilement son point de vue, que d’une simple étude il a formé un tableau des mieux composés. Par cinq tableaux de style si différent et d’exécution si contrastée, on peut apprécier la flexibilité du talent de M. Corot. Cet artiste est varié comme la nature, qu’il paraît étudier continuellement, sans préoccupations de manière, sans formule arrêtée d’avance. Le trait distinctif