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sombre et de fiévreux se mêlait aux accens affaiblis de sa parole, que bientôt l’on n’allait plus comprendre. Le mouvement religieux qu’il avait tenté s’abîmait ainsi avec son imagination elle-même dans la fantasmagorie d’un culte insaisissable[1].

À la veille de février, le slavisme diplomatique survivait seul au slavisme littéraire, qui s’était perdu dans le slavisme religieux. La révolution européenne, en arrachant soudainement les émigrés polonais aux travaux de la propagande pacifique, a emporté les esprits bien loin de ces préoccupations sur les champs de bataille du slavisme militant. Le moment était-il venu ? les idées que cette propagande avait semées sur le sol mouvant de l’Europe orientale avaient-elles mûri ? La réponse est dans l’histoire de la Hongrie depuis un an ; non, les idées pratiques que la diplomatie polonaise avait répandues et caressées avec tant d’espoir n’étaient point prêtes pour la moisson. La Pologne russe, contenu en quelque sorte homme par homme, était disposée à tout entreprendre, si l’ensemble de la situation européenne eût été favorable, si les alliances projetées eussent été sûres, si le grand obstacle à toute reconstitution de l’Europe orientale ; la rivalité dés Magyars et des Slaves, eût été surmonté. Les Tchèques, les Croates, les Serbes, les Slaves de l’Autriche et de la Turquie, les Roumains, étaient résolus à se joindre aux Polonais dans la lutte qu’ils espéraient recommencer. Le magyarisme, exalté lui-même par la révolution européenne, a fait échouer tous ces projets. Les Slaves de l’Autriche et ceux de l’empire ottoman, qui ont aussi coopéré ou de leur personne ou par leurs encouragemens à cette lutte, obligés de combattre les Magyars, ont perdu leur liberté d’action, et, loin de prêter aux Polonais un appui contre le czar, ils ont dû subir la fatale bienveillance des Russes.

La diplomatie polonaise avait prévu de très loin ces douloureuses conjonctures ; elle avait lutté sans relâche contre ces préjugés et ces passions qui devaient briser le faisceau des peuples du Danube au moment même où leur avenir dépendait de leur union. Ce n’est donc point l’intelligence qui lui a manqué, c’est le temps. La révolution imprévue qui venait en mars 1848 agiter l’Europe orientale surprenait

  1. Chacun sait l’épigramme de Racine sur certaine tragédie :
    …Aussitôt que l’ouvrage a paru,
    Plus n’ont voulu l’avoir fait l’un ni l’autre.
    Le contraire est arrivé pour le messianisme, quoiqu’il n’ait point eu de succès brillant : il s’est même rencontré une tierce personne pour en réclamer l’invention : c’est un savant mathématicien, M. Hoené Wronski, auteur en effet d’un vaste traité sur la réorganisation des sciences, sorte de Novum Organum qui est fort loin d’avoir la clarté de celui de Bacon. Ce livre, antérieur à la prédication de Towianski, porte le titre de Messianisme, et contient au milieu d’une forêt de formules, quelques idées claires et simples. Le fonds est mystique.