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au panslavisme. Ce panslavisme, il est vrai, devait, dans la pensée du poète, agir au profit de la liberté par le bras libéral de la Pologne, non au profit du despotisme par le bras des Russes ; mais, que l’union de tous les Slaves se fit par l’un ou par l’autre de ces instrumens, elle n’en avait pas moins pour résultat la fondation d’un état formidable sur les débris de l’ancienne Europe orientale. Dans touts les hypothèses, que la victoire restât au panslavisme unitaire de la Russie ou au panslavisme fédéral du poète polonais, ceux des peuples de l’Europe orientale qui n’appartiennent point à la race slave avaient droit de s’effrayer de la puissance colossale qu’elle devait par là s’assurer. Que pouvaient, en effet, devenir huit millions de Valaques et cinq millions de Magyars au milieu de ces quatre-vingts millions de Slaves, Polonais, Russes, Tchèques, Illyriens ? Les Slaves eux-mêmes n’admettaient pas tous l’idée d’une confédération dans laquelle chacune des quatre grandes familles slaves eût été obligée de sacrifier son individualité et son indépendance à l’unité de la race entière. Vis-à-vis de chaque peuple de cette Europe orientale, si fort préoccupée de progrès, il y avait une politique spéciale à suivre. La Bohême savante et méditative, la Croatie et la Serbie belliqueuses, la Bosnie à demi barbare, la Moldo-Valachie élégante et raisonneuse, les Magyars toujours prêts à prendre feu, ne pouvaient pas être conseillés de la même manière, et, si l’on remarque quel degré d’exaltation étaient arrivées les passions qui séparaient ces peuples, on concevra que la tâche de les réunir et de les concilier exigeait le concours du temps tout aussi bien que le tact le plus délicat et la persévérance la plus attentive. Il s’agissait, avant tout, de présenter le slavisme aux populations de la Turquie et de l’Autriche comme un concert d’évolutions diverses parfaitement distinctes, et non comme le mouvement concentrique de forces aspirant à l’unité. Cette distinction fut le point de départ de la propagande diplomatique dont le prince Czartoryski était l’ame. Ainsi compris, le slavisme laissait d’une part aux Tchèques de la Bohême, aux Illyriens de la Croatie et de la Serbie, la pleine liberté de leurs destinées individuelles ; de l’autre, il donnait aux Magyars et aux Roumains de la Moldo-Valachie, aux Turcs et aux Allemands de l’Autriche, l’espoir de sauvegarder leur nationalité dans toutes les éventualités. La consolation n’était pas sans amertume pour ceux de ces peuples qui, exerçant sur les Slaves le droit de la conquête, devaient infailliblement le perdre dans cette profonde transformation de l’Europe orientale ; c’était cependant une consolation, puisqu’au lieu d’avoir à redouter la domination absorbante du panslavisme russe de Kollar ou du panslavisme libéral de Mickiewicz, ils obtenaient l’indépendance de leur race au milieu des quatre familles slaves indépendantes. Les Valaques acceptaient assez volontiers l’alliance de la Pologne à ces conditions ; mais les Magyars,