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c’était la Russie. Ils imaginaient d’ailleurs qu’il se pouvait présenter telle ou telle circonstance sur le bas Danube, par exemple, ou l’Autriche, comme dans la guerre de 1828, se sentirait gênée de toujours marcher de concert avec la Russie. Ils pensaient enfin que, si lente que fût la vieille race autrichienne à entrer dans les voies du progrès, si peu que la machine bureaucratique se prêtât aux réformes, l’Autriche se trouvait dans une condition à être entraînée plus vite que la Russie dans le système libéral des cabinets occidentaux. M. de Metternich était, à la vérité, pour le czar, un allié bien complaisant ; mais M. de Metternich n’était pas éternel : l’Autriche ne pouvait guère survivre au vieux ministre sans être agitée et peut-être transformée par une soudaine explosion de sentimens libéraux, d’autant plus énergiques qu’ils auraient été plus rudement contenus. Les massacres de Gallicie vinrent en un sens confirmer ce raisonnement. On se souvient, en effet, que l’Autriche, menacée par les questions sociales nées à l’improviste sur ce terrain, se vit contrainte, afin d’éviter une jacquerie universelle, de promettre et d’entreprendre la réforme des lois féodales qui régissaient encore les propriétés et les personnes dans toutes ses provinces, moins la Lombardie[1]. Une saine politique commandait donc aux Polonais de refouler au fond de leurs cœurs, même après le sang versé en Gallicie, les rancunes qu’ils étaient en droit de nourrir contre l’Autriche. C’était sur la Russie qu’ils devaient diriger les haines et de leurs concitoyens et des alliés qu’ils cherchaient depuis Prague jusqu’à Constantinople pour la Pologne.

Cette tactique une fois concertée, toute difficulté n’était pas vaincue. Il importait d’abord d’éclairer les populations de la Turquie et de l’Autriche sur leurs intérêts communs en présence des intentions avouées de la Russie. On pouvait faire appel à l’histoire, et les souvenirs mêmes des populations slaves venaient en aide à la propagande polonaise. Depuis que la diplomatie russe a reçu de Pierre-le-Grand et surtout de Catherine II cette direction religieuse qui tend à faire de l’empire russe le légataire universel de l’empire byzantin, les peuples de l’Europe orientale avaient pu juger par leur propre expérience, combien peu il y a de désintéressement dans le protectorat religieux que le czar prétend exercer à leur profit. Pierre-le-Grand avait flatté l’amour-propre de ses coreligionnaires moldo-valaques, en choisissant parmi eux des conseillers, des ambassadeurs, des amis. Il avait ouvert devant leurs yeux la perspective d’un affranchissement par le concours de la Russie. Les mêmes encouragemens, les mêmes témoignages d’amitié furent donnés aux Hellènes, chez qui, par malheur, la domination ottomane se faisait plus durement sentir qu’en Moldo-Valachie :

  1. Voyez Les Paysans de l’Autriche, dans la Revue du 15 octobre 1847.