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des tendresses et des terreurs religieuses qui remplissent l’histoire des peuples chrétiens au moyen-âge. Ainsi la philosophie polonaise survivait à l’exil, sans perdre, même sous le vêtement des idiomes étrangers, son originalité native, ses traditions de sensibilité et de poésie. Bien loin donc de renoncer à l’indépendance de leur nationalité, alors que les circonstances politiques semblaient l’ajourner indéfiniment, les écrivains de la Pologne rêvaient pour leur pays, à tort ou à raison, une destinée philosophique, un rôle de premier ordre dans le mouvement de la civilisation.

De leur côté, ceux qui n’avaient apporté dans l’exil que des connaissances militaires devenues inutiles à leur patrie, — ces officiers, jeunes ou vieux, qui désormais n’avaient plus l’emploi de leurs bras, couraient le monde pour offrir leur épée à quiconque leur ouvrait la perspective de rencontrer de nouveau des Russes à combattre. Les plus impatiens prenaient du service sous le drapeau de Schamil dans le Caucase ; Chrzanowski organisait l’armée ottomane ; d’autres, tout en se livrant sans réflexion aux hasards de l’industrie ou du commerce, comme Dembinski et Bem, avaient la tête bien plus aux batailles qu’aux affaires ; ils combinaient de loin des plans plus ou moins précis pour la prochaine insurrection. Le problème de la grande guerre et de la guerre de partisans était posé et débattu. On raisonnait sur les fautes du passé et sur les moyens de donner à une nouvelle tentative d’indépendance un caractère plus général et plus populaire. C’était un travail d’état-major qui ne cessait point. La tête de l’armée était toujours prête à rentrer en campagne, et le soldat polonais aimait à voir en lui-même l’avant-garde d’une insurrection prochaine.

Le malheur de la Pologne, c’est pie cette générosité de cœur et cette passion d’agir qui distinguaient les savans, les officiers, les diplomates, et les poussaient au même but, ne conspiraient pas assez étroitement pour les conduire à ce but par les mêmes chemins. Les regrets de tous étaient semblables et semblables leurs espérances ; mais, en dépit de beaucoup d’efforts tentés par les esprits les plus calmes et les plus éminens pour rallier les individus autour d’une noble pensée de conciliation, les opinions restaient partagées sur les moyens. La patrie ne peut être sauvée que par le combat : il n’y avait point de doute sur ce point. Le combat doit être préparé par la propagande : on en tombait d’accord ; mais comment devait se produire cette propagande ? quel esprit devait l’animer ? L’amour du pays et l’enthousiasme de la nationalité, disaient les uns. — Le patriotisme ne suffit pas, répliquaient les autres, s’il n’est surexcité par une idée nouvelle sur la constitution de la société et du gouvernement, et de cette idée comme d’une source des fantaisies d’imagination sur lesquelles il était difficile à tous les Polonais de s’entendre.