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sard M. le duc d’Aumale et M. le duc de Nemours ne savaient pas que M. Charras était fort républicain ? ils le savaient, et cela ne les empêchait pas de rendre justice aux services militaires de M Charras ; et c’est parce qu’ils ont eu le mérite d’être justes, qu’ils ont aujourd’hui le privilège qu’on soit juste envers eux. De leur pouvoir et de leur rang, tout a disparu, excepté ce souvenir de leur sollicitude et de leur impartialité royales. Il faut bien qu’on nous permette, à nous autres chroniqueurs de la quinzaine politique, et narrateurs, à ce titre, de beaucoup de misères et de petitesses humaines, il faut bien qu’on nous permette de signaler aussi quelques-uns de ces bons momens de la nature humaine. Cela rend quelque espoir en l’avenir. Nous ne désespérons que des peuples où les bons sentimens s’éteignent.

Il y aura deux grandes joies au jugement dernier : la justification des bons et la confusion des méchans. — Nous avons eu quelque chose de la première pendant cette quinzaine, nous venons de le voir ; nous avons en aussi la seconde joie dans la discussion de la loi sur la presse et pendant le discours de M. Thiers.

Il y a eu en France deux républiques, l’ancienne et l’actuelle. Comment ces deux républiques ont-elles traité la liberté de la presse ? Les républicains de la veille ont-ils bonne grace, en face de l’histoire des deux républiques, à soutenir que c’était la monarchie constitutionnelle qui tyrannisait la presse ? Pendant la première république, la liberté de la presse était proclamée illimitée ; mais cette liberté illimitée avait deux censeurs, la guillotine et la lanterne, le tribunal révolutionnaire et l’émeute populaire. Les jacobins déclaraient que « le peuple seul avait le droit de s’insurger contre un écrivain qui attaquait ses droits, comme contre toute espèce d’oppresseur. » Voilà la législation de la presse réduite à sa plus simple expression. Je puis, comme écrivain, écrire tout ce que bon me semble ; mais je puis, s’il plaît à quelqu’un dans le peuple de trouver une de mes phrases oppressives, je puis être puni comme oppresseur par la première autorité insurrectionnelle venue. Un autre membre de la société, le jacobin Laugier, ne s’en fiait pourtant pas à cette censure remise aux mains de l’insurrection. « Quand on voit, disait-il, que le principe de la liberté indéfinie de la presse devient une arme à deux tranchans entre les mains de l’aristocratie, on doit aussitôt l’abandonner. Une arme dont les ennemis de la liberté ont su s’approprier le maniement ne doit pas se trouver entre leurs mains tant qu’il existe des patriotes il faut définir la liberté de la presse et l’établir sur des bases telles que l’aristocratie ne puisse en profiter. » La liberté de la presse a en effet un grand inconvénient, c’est la liberté de tout le monde, tandis que la liberté que veut la montagne, c’est la liberté pour elle-même et pour elle seule. Allons plus loin et soyons justes. Nous sommes tentés de croire qu’entre la liberté de la presse et la république il y a une sorte d’incompatibilité instinctive. Chénier, attaquant la liberté de la presse, disait aux cinq cents : « Ne sentez-vous pas que la calomnie contre nos fonctionnaires publics est mille fois plus dangereuse dans les états républicains que dans les états monarchiques ? Et quelle puissance mille fois plus grande la calomnie n’acquiert-elle pas dans une république naissante, fondée sur l’égalité ! » Ce qui me fait penser que cette réflexion de Chénier a sa justesse, c’est que j’en retrouve quelque chose dans le rapport, sur la nouvelle loi de la presse, de