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LE ROMAN ANGLAIS CONTEMPORAIN.

de lui, elle lui donna sa main avec une cordialité qui lui gagna son cœur sur l’heure. Ils causèrent un moment, puis elle lui dit qu’on était monté pour s’habiller et qu’elle voulait lui montrer elle-même sa chambre. Elle le conduisit, par un magnifique escalier, dans une sorte de galerie centrale où s’ouvraient les chambres d’amis. Elle l’introduisit dans une des plus jolies et le pria de sonner lorsqu’il voudrait quelque chose, ajoutant que, comme il n’avait pas de domestique à lui, elle avait mis à ses ordres son propre valet de pied.

« Gédéon s’habilla avec toute la convenance distinguée qu’il avait apprise dans cette université qui est l’arbitre des élégances de la jeune Angleterre. Il descendit pour le dîner sans aucune de ces palpitations timides qui eussent fait autrefois son supplice. L’éclat de ses succès littéraires avait jeté dans l’ombre les contradictions de sa destinée. Il avait pris son parti des ennuis et des froissemens auxquels elle le condamnait, et son mérite personnel lui avait aplani les difficultés les plus graves. Il était ainsi parvenu à se rendre maître de lui-même et à prendre cette aisance de manières qui, jointe à une gracieuse modestie, le rendait si agréable à tout le monde.

« Lucilla, M. Chandos et Celia étaient déjà dans le salon quand il descendit.

« Sa main ne tremblait plus comme autrefois lorsqu’il la posa sur le bouton de la porte. Il ouvrit, entra, alla à M. Chandos, et lui serra les mains avec un si charmant mélange de respect, de sensibilité et de modeste aisance, que M. Chandos lui-même le tint pour le plus aimable jeune homme qu’il eût vu depuis long-temps. Il se tourna ensuite vers Celia, qui se leva et lui présenta sa main en baissant les yeux ; mais une seconde après elle les releva avec un air si bon, si doux, si engageant, que les sentimens des années évanouies s’élancèrent au cœur de Gédéon, et qu’il put à peine balbutier quelques mots pour répondre à sa bienvenue.

« Elle était assise vis-à-vis de son père, en sorte que Gédéon tournait le dos à M. Chandos pendant que se faisait cette reconnaissance. Celia seule put s’apercevoir du tremblement de la main qui tenait la sienne ou remarquer la rougeur qui en un instant courut et disparut sur le visage de Gédéon. Il s’assit à côté de Lucilla, et M. Chandos entra immédiatement en conversation avec lui. Il y a toujours, même dans l’entretien le plus simple d’un homme d’un haut esprit, quelque chose qui trahit sa supériorité. C’était ce qui arrivait pour Gédéon. Celia était assise, l’écoutant. Elle n’osait se mêler à la conversation. Elle semblait moins à son aise qu’à l’ordinaire. Elle avait tant entendu parler des talens et des succès de Gédéon, qu’elle avait cessé de le regarder avec un intérêt compatissant. Elle voyait maintenant en lui un homme fait pour conquérir l’admiration universelle. Elle répondait avec timidité à une question de sa mère, quand sir Philip entra. M. Chandos lui présenta M. Gédéon Jones, « dont le nom, j’en suis sûr, ne peut vous être inconnu, quoique les honneurs universitaires n’excitent guère d’attention à Londres. » Sir Philip fit un léger salut, auquel Gédéon répondit assez froidement, et, avançant une chaise à côté de Celia, il se mit aussitôt à l’entretenir.

Il avait une masse de choses à lui dire, car il arrivait de Londres le jour même, après quarante-huit heures de séjour. Il avait à lui donner les dernières nouvelles concernant d’importans mouvemens politiques auxquels il prenait plus grand intérêt, et il voulait que, pour l’amour de lui, elle s’y intéressât