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Jean-Jacques. Miriam fut abandonnée à la nature. Cette belle jeune fille, que son père initia aux secrets les plus élevés de l’instruction, ne reçut sur les mystères de la vie que les froides leçons d’un vague déisme. Son ame était comme son corps : quelque chose de robuste et de gracieux, mais quelque chose d’indiscipline et de sauvage. Ses courses avec son père dans les montagnes avaient hâlé son pur visage comme une figure de gipsy et donné une vigueur masculine à ses membres charmans. Ses lectures philosophiques et ses libres pensées laissèrent à son esprit une audacieuse virilité. Dans cette nature étrange et séduisante battait un cœur naïf, ardent, né pou r les orages.

Il y avait, non loin de là, un docteur d’université de grand renom littéraire, auprès duquel des jeunes gens distingués venaient acheter et polir leurs études académiques. En Angleterre, on n’est pas un parfait gentleman si l’on n’est un scholar accompli. Ce docteur eut, dans ce temps-là, un élève d’une distinction singulière, un jeune homme qui avait débuté déjà avec succès à la chambre des communes. M. Ridley, ainsi s’appelait ce jeune homme, était le fils unique d’une famille parvenue par le commerce, mais immensément riche c’était un esprit de rare trempe, une ambition effrénée, urne imagination de feu, un cœur de glace. Il avait mené la vie d’université cavalièrement, en fils de famille qui fait honneur à sa fortune par ses dissipations. Cette première fougue de jeunesse apaisée, lorsqu’il fut membre du parlement, il sentit l’incomplet de ses études classiques et le tort que cette lacune pouvait faire à ses plans d’élévation politique. Il profita de l’intervalle d’une session pour approfondir les littératures grecque et latine sous la direction d’un aussi habile homme que le docteur Abel.

Ridley et Miriam se rencontrèrent. Ces deux natures, le jeune homme raffiné et corrompu et la jeune fille candide et ardente, se fascinèrent mutuellement par leurs contrastes. Contre les séductions de Ridley, Miriam était désarmée : elle succomba. Ridley ne craignit point d’abuser de l’enthousiasme crédule de ce cœur ignorant : au milieu des enchantemens d’une splendide nuit d’été, Ridley persuada à Miriam qu’il s’unissait à elle, qu’il l’épousait à la face de Dieu, mais que les intérêts de son avenir, de leur avenir, l’obligeaient à tenir quelque temps cette union secrète. Miriam, ivre de confiance et de bonheur, se donna. Ridley partit ; Miriam était grosse. Ridley oublia son amante, puis il la repoussa, puis il l’insulta en lui offrant une somme d’argent pour rançon de son déshonneur.

Ici commence l’histoire lamentable, l’histoire éternellement la plus douloureuse parmi celles des souffrances humaines : l’histoire d’un broken heart, d’un cœur trahi et brisé. Notre langue ironique et sèche n’a pas d’équivalent pour ce mot d’une sensibilité si intense, pour ce