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LE ROMAN ANGLAIS CONTEMPORAIN.

duelle, au caprice, à l’accident, au fait isolé ; ils veulent suivre des règles convenues, des déductions logiques, des routes alignées, pour arriver à des résultats généraux. L’Anglais, au contraire, reste personnel en tout et toujours. Le fait l’intéresse et le préoccupe bien plus que la loi il ne s’inquiète pas de ramener à une règle générale l’accident particulier, et d’un acte isolé il ne se croit point obligé de tirer une conclusion générale. Il y a entre les deux peuples la même différence qu’entre les deux sectes qui divisaient les scolastiques du moyen-âge : les Français croient aux idées abstraites, les Anglais aux choses contingentes ; nous sommes, réalistes, ils sont nominaux. Il y a donc plus de personnalité, plus de caprice, plus d’imprévu dans le caractère des Anglais ; il y a plus d’accidens et de variété dans leur vie. Or, l’intensité et l’originalité des caractères, la variété des incidens dans la vie, sont les conditions fondamentales du romanesque. Donc, les Anglais sont plus romanesques que les Français. Et moi-même je viens de prouver ma thèse par un argument à priori, c’est-à-dire par un argument à la française.

Romans anglais, romans anonymes, romans romanesques c’est le premier signalement qu’on puisse donner d’Angela et de Mordaunt-Hall. J’ajouterai que ce ne sont point des débuts. Une plume habile a raconté il y a quelques années, aux lecteurs de ce recueil, un des premiers romans publiés par l’auteur d’Angela[1]. Aujourd’hui autant qu’alors, le nom et l’histoire de l’écrivain sont demeurés inconnus : cet écrivain est une femme, voilà tout ce qu’on sait. La femme a eu le pudique bon goût de garder le voile ; mais ses œuvres récentes ont étendu doucement le gracieux succès de ses premiers livres.


C’est une des plus fières résidences seigneuriales de l’aristocratique Angleterre ; c’est un des printemps anglais les plus suaves. Le fils du propriétaire de Sherington habite seul le château paternel, et passe quelques momens de vie végétative parmi l’épanouissement glorieux de ces riches campagnes. Charmant et singulier jeune homme ! par sa figure et sa beauté, le modèle et l’idéal du jeune patricien anglais : l’œil si clair et si doux, si candide, presque enfantin, transparent de sincérité et d’innocence, méditatif pourtant et parfois chargé de vague mélancolie ; la lèvre pleine, relevée d’une moustache légère et soyeuse ; la chevelure tombant avec un élégant désordre autour d’un front large et pur. Il n’a pas vingt ans : il est encore dans ce printemps de la vie que les Anglais appellent l’heureux âge des teens. Ses parens l’ont pour ainsi dire laisse s’élever lui-même, comme s’ils avaient oublié qu’il doit être un jour pair d’Angleterre. Sa famille était en effet une famille de bohêmes comme il y en a trop dans les aristocraties. La

  1. Voyez, dans la livraison du 15 août 1846, l’article sur Mount Sorel.