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Il est numériquement très faible. Cette industrie catalane des cotons, qui a servi de prête-nom à tant de complications politiques et commerciales, n’emploie que trente et un mille ouvriers, et élabore moins d’un million de kilogrammes de matière première ce qui correspond à peine au cinquième des besoins de la consommation intérieure ; mais elle avait eu jusqu’ici deux auxiliaires formidables : les susceptibilités nationales et l’intérêt contrebandier[1]. On vient de voir que ce double appui lui faisait défaut. Réduite à ses propres forces, intimidée par l’attitude du gouvernement, qui avait eu la prévoyance de maintenir en Catalogne le déploiement de forces nécessité par les dernières tentatives insurrectionnelles, désarmée enfin de tout grief raisonnable par la protection exceptionnelle dont la favorisait encore la réforme proposée, l’industrie catalane s’est bornée, cette fois, à quelques protestations sans écho. Aucun danger n’est venu peser sur les délibérations des chambres, et, après six semaines d’une discussion approfondie, où se révèlent d’immenses progrès dans la science économique, le nouveau tarif a été adopté. C’est toute une révolution.

Je n’exagère rien. Le nouveau tarif n’est, si l’on veut, qu’un pas assez timide du système prohibitif au système protecteur ; mais il a pour résultat, ce qui est immense ici, d’anéantir la contrebande. Le droit sur les tissus de coton, qui jusqu’ici étaient prohibés, sera de 35 à 40 pour 100, ce qui donne à l’importation légale un avantage énorme sur la fraude, dont le taux d’assurance flottait entre 60 et 90 pour 100. Sur les lainages et les tissus de soie qui paieront, ceux-ci de 30 à 45 pour 100, ceux-là de 25 à 50 pour 100, la différence est beaucoup plus faible : cette différence reste même en faveur de la fraude pour certaines soieries ; mais, comme le gouvernement a l’initiative des évaluations qui serviront de base à la perception des droits, il ne dépend que de lui de neutraliser ici l’intérêt contrebandier. La toilerie est dans les mêmes conditions. Quant aux autres articles, qui sont taxés de 10 à 20 pour 100, ils appartiennent forcément désormais au commerce légal. Or, veut-on savoir ce que gagnent le consommateur, la production et le trésor, à cette disparition de la contrebande ? Quelques chiffres déduits des faits actuels en donneront l’idée.


M. Mon évalue à près de 80 millions de francs l’impôt que payaient les consommateurs à l’importation des cotons étrangers. La fraude prélevant jusqu’ici sur ces articles une prime de 70 pour cent en moyenne, et le maximum des droits qui viennent d’être fixés ne dépassant pas 40 pour cent, la consommation nationale bénéficie, par la réforme douanière, d’une économie de plus de 30 pour cent, soit, sur 80 millions de francs, plus de 24,000,000
  1. La communauté d’intérêts prohibitionistes n’était pas le seul mobile de l’alliance des manufacturiers et des contrebandiers. Plusieurs manufacturiers spéculaient eux-mêmes sur la contrebande. Des tissus qui portaient l’estampille de certaines fabriques de Catalogne étaient d’origine étrangère.