Prends ; … mais tu m’arraches le cœur. (Il lui donne un peu de pain.)
Mon pauvre ami, j’en suis bien fâché. Je te dirais, si cela pouvait te consoler, que tu sauves la vie à un homme de lettres célèbre, à un ancien ministre, à un membre marquant de plusieurs de nos anciennes assemblées.
Cela ne me console aucunement.
Je ne t’en veux point.
Et moi je t’apprends, s’il est nécessaire de te montrer ce que tu as fait avec tant d’autres, que tu manges la dernière bouchée de pain d’un millionnaire.
Tu ne m’apprends rien. Pour se procurer deux pains toutes les semaines, il faut avoir un reste de coffre assez bien garni ; mais le temps approche où tu pourras refaire ta fortune. Quant à moi, mon industrie est pour long-temps supprimée. Si tu avais par la suite besoin d’un précepteur…
Je ne te choisirais pas.
Je sais tenir une classe, et je suis d’une assez jolie force sur la guitare. L’enseignement serait ma vocation. Cependant je me contenterais d’être valet de chambre ou portier. Je vaux mieux que ma mine et mes anciennes professions. Je suis devenu honnête homme, je voudrais faire une bonne fin.
Espères-tu vraiment que nous sortions bientôt de l’affreux état où nous sommes ?
Nous avions annoncé aux Cosaques que nous irions délivrer nos frères les Russes. Les Cosaques nous ont répondu qu’ils viendraient délivrer leurs frères les honnêtes gens. Je ne crois pas que nous délivrions les Russes.
Sais-tu quelque chose ?
Je sais qu’il est défendu de donner les mauvaises nouvelles.
Mais les bonnes ?
Oh ! pour les bonnes, c’est différent. Nous avions un dernier général qui semblait capable. À la suite d’un combat dont ses soldats ont paru trop fiers, il a été arrêté par l’ordre du dictateur et fusillé cette nuit.
L’assaut ne peut tarder ?