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LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE.

père a été assassiné, ma mère est morte d’effroi, ma femme de faim, à la porte de sa maison ; mes fils sont emprisonnés ; mes filles… Allez, compagnons, j’ai bien pris mes mesures, et je vous promets qu’ils passeront par ici ! Ils seront une centaine. Laissons-les s’engager dans le bois : pas un n’en sortira.

CERVAIS.

Eux massacrés, il faudra nous porter à marche forcée sur le village d’où ils viennent, y arriver cette nuit, et le mettre à feu et à sang. Les habitans, quoique suspects à présent aux socialistes, ne valent pas mieux. Ce sont tous voleurs qui se pillent les uns les autres après avoir pillé les honnêtes gens. Nous n’avons pas besoin de regarder où nous frapperons, nous n’atteindrons jamais que des scélérats.

LE CHEF.

Quand pourrons-nous en faire autant dans la capitale !

JEAN BONHOMME.

Je ne tiens à vivre que pour aller là, servir certaines pratiques.

LE CHEF.

Tous nos maux viennent des villes ; elles paieront tout avec usure.

GERVAIS.

Vous n’iriez pas dans les régions de l’ouest, vous ? La vie et la mort y sont moins dures qu’ici, mais ils font des prisonniers… Ce ne serait pas votre goût.

LE CHEF.

Ni le vôtre, je pense.

JEAN BONHOMME.

Ni le mien. Quand j’ai vu des prêtres, j’ai dit : Non ! il ne me faut pas des patenôtres, il me faut du sang. Dans l’ouest ils se battent, ici on se mange…

LE PETIT GERVAIS, accourant.

Voici les galériens !

LE CHEF.

Notre dernier poste commencera le feu à bout portant ; on se lèvera au premier coup de fusil. Face à terre et silence.

(La colonne mobile paraît et s’engage dans le bois. Guyot et le commandant viennent à l’arrière-garde.)
GUYOT.

Pas l’ombre d’un chouan ! Citoyen commandant, reçois mes félicitations. Le travail et la tranquillité règnent dans ton district.

LE COMMANDANT.

Par malheur, l’abondance n’y règne pas, citoyen préfet. Nous avons beau nous faire craindre des paysans, ils se décident encore mieux à recevoir des coups de bâton qu’à nous tremper la soupe. Et tu verras qu’ils finiront par se joindre tous aux révoltés pour nous écraser.

GUYOT.

Ensuite ils s’entre-dévoreront. Ceux qui ont pris ne voudront jamais rendre ; ceux qui ont été dépouillés voudront reprendre plus qu’on ne leur a pris.

LE COMMANDANT.

C’est-à-dire qu’ils s’égorgeront perpétuellement en criant les uns contre les autres : Au voleur !