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PITT ET LES FINANCES ANGLAISES.

rend la dette de l’état indéfiniment irremboursable et qui la divise en titre de rente échangeables à volonté, devait rendre et rendit en effet les emprunts plus faciles. Tout un monde nouveau venait d’être découvert par l’adoption de cette simple pratique, et la puissance financière des états avait été décuplée.

Comme toutes les grandes choses, la dette fondée ne s’établit pas d’un seul coup telle que nous la voyons ; cette notion aujourd’hui si claire et si nette ne se dégagea que par gradation. On commença par emprunter sous condition d’amortissement par annuités ; l’état accordait à ses créanciers tant pour cent par an pendant un nombre déterminé d’années, jusqu’à entière extinction du capital et des intérêts. Plus tard, on offrit aux porteurs de titres de rendre les annuités perpétuelles à condition d’un versement additionnel de fonds. Ces sortes de rentes étaient considérées comme non rachetables ; pour les autres, l’engagement de rembourser existait toujours, mais les échéances s’éloignaient de plus en plus, et le remboursement cessait peu à peu d’être obligatoire pour devenir facultatif. Sous la reine Anne, la guerre avec la France recommença, et avec elle vinrent de nouveaux emprunts. Sous George Ier, on essaya de mettre un peu d’ordre dans cette confusion d’emprunts successifs, et on les réunit avec les taxes votées pour y pourvoir sous trois qualifications principales : le fonds agrégé, le fonds général, et le fonds de la mer du Sud. En même temps, on créa un quatrième fonds, formé de l’excédant des trois autres et qu’on appela le fonds d’amortissement (sinking fund). Celui-là était destiné à racheter annuellement une portion de la dette, mais il ne tarda pas à être détourné de sa destination par le ministre même qui l’avait créé, sir Robert Walpole, et il servit toujours depuis à acquitter des charges plus urgentes.

Les rentes perpétuelles étaient déjà si profondément entrées dans les habitudes du temps de Walpole, et l’impulsion donnée au crédit par la création de cette masse de titres échangeables avait été si forte, que la suppression de fait de tout amortissement agit peu sur le cours des effets publics. Il en fut de même des conversions successives qui eurent lieu pendant la première moitié du xviiie siècle. En 1717, l’intérêt de la dette nationale fut réduit de 6 à 5 pour cent ; en 1727, de 5 à 4 ; en 1750, de 4 à 3 et demi ; en 1755 et 1757, de 3 et demi à 3. Le crédit public survivait toujours à ces épreuves réitérées. Un riche capitaliste anglais dit un jour à lord Stanhope à propos de l’une de ces réductions : « Je suis satisfait de la mesure qui a été adoptée, attendu que, par la diminution des intérêts de la dette, je regarde le capital comme plus assuré que jamais. » Le mot était juste et vrai ; mais quelle différence entre l’état de richesse qu’une semblable parole suppose et ce qui s’était passé moins d’un siècle auparavant, lors de la banqueroute de Charles II ! Tels sont les prodiges qu’opère chez un peuple libre la puissance de l’esprit public.