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ce qu’on te propose un moyen de sortir de ce labyrinthe de folies où nous marchons les pieds dans le sang ? Le sang monte, monte d’heure en heure. Nous en avons jusqu’aux genoux, nous en aurons bientôt jusqu’aux lèvres, nous y serons noyés et étouffés. Le fleuve roule du sang et des têtes coupées… Un autre l’avait vu déjà ; son ame est entrée en moi, pleine d’horreur pour les crimes passés et condamnée à les voir s’accomplir encore. Fouquier-Tinville était bon. Je m’en doutais… je le vois maintenant aux transports d’amour que j’éprouve… J’aime l’humanité, je veux qu’elle soit heureuse… Vous, vous êtes des meurtriers. Vous êtes des prêtres. Exterminons les prêtres… Ils ont une idole muette et voilée ; ils lui donnent du sang. Vous dites : Le salut par le sang ; je dis : Le salut par l’amour. Ô amour ! amour ! tu ne me jugeras pas avec ces coupables ! Je t’ai toujours chanté, ils ne t’ont jamais compris. Si Lamartine avait été philosophe, lui et moi nous aurions possédé le monde, et nous ne lui aurions fait porter que des liens de fleurs ; mais Lamartine est incomplet… ce que un est à trois. Quant à ceux-ci, ils ne sont point ; ils n’ont point d’ailes ; ils sont faits pour ramper dans cette fange rouge et chaude qui se forme de sang versé. Dieu de Gnide, écrase ces reptiles qui rongent la chair des cadavres ; écrase-les et développe l’amour !

LE CONSUL. (Il sonne, des huissiers paraissent.)

Reconduisez chez lui le ministre du progrès, atteint d’aliénation mentale.

LE MINISTRE DU PROGRÈS.

Dieu d’amour, écrase-les ! (On l’emmène.)

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

Le pauvre diable est décidément fou.

LE CONSUL.

Il l’a toujours été.

LE MINISTRE DE l’INSTRUCTION PUBLIQUE.

Nous ne devons pas cesser d’honorer en lui l’un des pères de la république sociale.

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

Assurément.

LE CONSUL.

Le ministre du commerce a la parole.

LE MINISTRE DU COMMERCE.

Le ministre des travaux publics a parlé pour moi. Il n’y a plus de commerce, parce qu’il n’y a plus d’industrie. — Je dois soumettre au consul un plan singulier et même extravagant en apparence, mais cependant réalisable, et qui pourrait faire entrer quelque argent dans les coffres de l’état, en même temps qu’il nous soulagerait d’un embarras politique. Nous avons beaucoup de femmes prisonnières. Elles gênent ; elles tiennent leur place comme les hommes. Il faut les nourrir, ou les laisser mourir de faim, ou multiplier des exécutions qui ne paraissent pas toujours suffisamment motivées. Plusieurs compagnies de spéculateurs s’offrent à nous dégager de ce trop plein. Ils les exporteraient dans les pays où les femmes manquent et où celles d’Europe sont particulièrement recherchées, à Tripoli, au Maroc, à Tunis, en Perse, en Californie. Ils recevraient d’assez fortes commissions pour pouvoir payer eux-mêmes à l’état une patente considérable.