Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
REVUE DES DEUX MONDES.

et leur admiration se porte surtout avec raison sur ces premières années où il assit les fondemens de l’édifice qu’il a élevé si haut.

Cette supériorité particulière de Pitt ne s’explique pas seulement par la force de son esprit et par l’énergie de sa volonté. Ce qu’il a appliqué pour la première fois, il ne l’a pas imaginé. Les finances de tous les états de l’Europe, sans en excepter, à certains égards, celles de l’Angleterre, étaient encore, à la fin du dernier siècle, dans le chaos du moyen-âge ; mais l’esprit d’examen, qui avait pris un si grand essor pendant ce siècle, s’était exercé sur les sources de la richesse des nations comme sur les autres branches des connaissances humaine. Une science nouvelle venait de naître. Les économistes français avaient donné le signal ; après eux était venu Adam Smith, dont le grand ouvrage, publié en 1776, commença une révolution qui n’est pas encore finie. D’innombrables écrits, aujourd’hui oubliés, paraissaient dans toutes les langues, et portaient la lumière sur les questions les plus obscures de l’ordre financier. Le mérite de Pitt fut de s’approprier ce qu’il y avait de vrai dans les théories qui avaient cours de son temps et d’oser les mettre en pratique. Il n’en eut pas moins de mérite, car en toute chose l’exécution est la grande difficulté. Cependant il trouva un appui solide dans l’opinion des hommes éclairés qui suivaient comme lui le mouvement des idées. Il eut aussi le bonheur de s’adresser à l’intelligence d’un nation éminemment positive, qui le comprit vite et ne l’abandonna jamais. Il rencontra bien des difficultés qu’il ne put vaincre au premier effort, il se trompa bien des fois ; mais son pays lui resta fidèle, même dans ses erreurs, et ce n’est qu’ainsi qu’il put venir à bout de son œuvre. Les hommes les plus éminens ne peuvent rien que quand ils sont secondés.


I.

Les dépenses publiques de l’Angleterre (national expenditure) se divisaient, en 1783 comme aujourd’hui, en six branches principales : 1o la dette fondée ; 2o la dette flottante ; 3o la liste civile ; 4o la marine ; 5o l’armée ; 6o l’artillerie de terre et de mer et les fortifications, réunies sous le nom commun d’ordnance.

Alors comme aujourd’hui les dépenses représentées en France par les ministères des travaux publics, de l’agriculture et du commerce, des cultes, de l’instruction publique, et la plus grande partie de celui de l’intérieur, ne figuraient pas au budget de l’état. L’entretien des routes, les frais d’administration proprement dits, la taxe des pauvres, etc., étaient à la charge des paroisses ou répartis entre une foule d’établissemens indépendans qui avaient leurs revenus distincts et leurs propriété particulières. L’église s’entretenait par des dîmes et d’autres