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LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE.

L’AGENT.

Ces cris sont séditieux. S’ils continuent, je dissous l’atelier, et je fais arrêter les coupables.

UN DÉLÉGUÉ, montant sur une borne.

À bas les voleurs, les insolens et les traîtres ! À bas les scélérats qui ont abusé le peuple, et qui, parvenus au pouvoir, ne savent plus que nous insulter, nous décimer et nous faire mourir de faim ! Citoyens, laisserons-nous encore long-temps cette vermine nous dévorer ? Pour moi, j’aime mieux la mort. (À l’agent.) Regarde-moi, et reconnais-moi, pour m’envoyer au bourreau quand tu m’auras pris ! Mais, avant de me prendre, tu goûteras du pain que la république nous donne. (Il lui lance une pierre.)

L’AGENT.

Je suis mort : feu sur ces gredîns !

(L’escorte de l’agent fait feu. Plusieurs ouvriers tombent. Les autres se précipitent sur les soldats, les désarment et les chassent. L’agent est lapidé et pendu.)
UN DÉLÉGUÉ.

Barricadons-nous. Puisque nous ne pouvons vivre en travaillant, mourons du moins en combattant. Allons chercher la liberté jusque dans la tombe.


III.

Une Ferme.


On entend des cris et des pleurs dans la maison. La porte s’ouvre, des femmes éplorées sortent, traînant des enfans. Un homme de quarante ans les suit bientôt, pâle, les vêtemens déchirés. Il soutient un vieillard presque mourant. Un jeune garçon l’accompagne. Plusieurs paysans paraissent aux fenêtres, tenant des bouteilles et des verres.


UN PAYSAN, à la fenêtre.

Bon voyage, les Gervais ! Votre petit vin est gentil. Tranquillisez-vous, on soignera les vignes.

JEANNE GERVAIS.

Voleurs ! craignez le bon Dieu !

GERVAIS.

Silence, Jeanne ! que ces brigands n’entendent pas nos plaintes.

SECOND PAYSAN.

Le bon Dieu ! il n’y en a plus de bon Dieu, la Gervaise ! Supprimé par décret de la république sociale.

PREMIER PAYSAN.

Le bon Dieu, c’est le soleil. Celui-là est juste. Il n’en donne pas aux uns plus qu’aux autres. Il luira sur tes champs, maintenant qu’ils sont à nous, comme lorsqu’ils étaient à toi.

SECOND PAYSAN.

Dis donc, la Gervaise, demande au père Gervais ce qu’il en pense du bon Dieu. Si tu ne sais pas pourquoi l’église que nous venons de démolir était neuve, il le sait, lui !