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LES EAUX DE SPA.

inévitablement tout homme qui s’est éloigné, ne fût-ce que d’une centaine de lieues, de cette immense place publique, si périlleuse pour ceux qui y jouent un rôle, si peu sûre parfois, si triste toujours pour les simples spectateurs.

À Dieu ne plaise cependant que je préfère jamais l’exil à ces tumultes, l’exil à ces dangers ! Je me rappelle avoir rencontré, dans mon enfance, quelques émigrés qui s’en revenaient à la suite du roi légitime ; à peine si on daignait leur rendre leur salut ; ils n’avaient plus le visage, le costume, les idées, les passions de la patrie absente ; leur nom même, ils ne l’écrivaient pas avec l’orthographe nouvelle. — Les enfans, race sans pitié, les montraient du doigt ; les hommes vieillis dans l’exil étaient si laids, les femmes étaient si vieilles ! L’oisiveté et la longue suite d’espérances déçues avaient remplacé sur ces visages flétris les rides respectables du travail, de l’ambition, de la pensée et des violentes douleurs. Pauvres gens ! en ce temps-là nous les regardions comme autant de phénomènes ; il ne nous est que trop facile maintenant de comprendre ce qu’ils ont dû souffrir. « J’aime mieux être enterrée à Saint-Sulpice que de vivre en province, disait une vieille duchesse. » Quant à moi, certes, la prison m’est une peine terrible, et pourtant j’aimerais mieux être enterré vingt ans à la Conciergerie de Paris que de traîner mes jours inutiles et suspects loin de la France. Eh quoi ! assister de loin à ces combats, à ces misères, ne savoir que trois jours après la ville de Paris les événemens de la journée, laisser son nom dans la bagarre immense et ne plus entendre parler de soi-même, et dans tout ce bruit qui se fait dans le monde n’être plus rien, ni un homme mort ni un homme vivant, se sentir désormais impossible même quand la fortune aura changé, impossible demain, justement parce qu’on était impossible hier : — voilà l’exil que ne comprendra jamais une ame bien faite, exil sans gloire ! — Au contraire, le poète qui ne peut se passer de silence, l’homme ami de l’étude et des livres, s’il quitte pour un instant le Paris des révolutions et de l’émeute, s’en va du moins avec toutes ses forces ; il s’absente, il ne s’enfuit pas ; il quitte la ville avec la certitude du retour. À peine arrivé dans l’asile qu’il a choisi, notre savant, notre poète se met à l’œuvre ; son premier soin, c’est de se rappeler par ses travaux à la patrie absente ; c’est de payer par ses leçons et par ses exemples l’hospitalité qui lui est offerte. S’il parle, on l’écoute ; s’il écrit, on le lit ; s’il raconte à la Suisse protestante et catholique les combats et les triomphes de Port-Royal, s’il raconte à la Belgique charmée les travaux poétiques et les gloires littéraires de la France impériale, la France a sa part dans ces leçons dont elle est le sujet toujours. On peut partir ainsi, quand on emporte avec soi tous ses livres, tous ses dieux !

Le jour où je quittai Bruxelles pour rentrer à Paris, un mouvement