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LES EAUX DE SPA.

abâtardie à l’ombre du trône. Il n’y a plus de jeu pour nous. À peine si de temps à autre quelque ancien riche de Paris ose jeter sur cette arène dédaigneuse un petit écu rougissant de honte et de misère à côté de ces monceaux venus en droite ligne des monts Ourals.

Alors, ne pouvant pas jouer, on cause. La conversation commencée au bord des fontaines se noue au milieu du bal. On voit passer et repasser dans le tourbillon enivrant de la valse allemande tant de jeunes filles heureuses sous le regard bienveillant de leur mère, car c’est une des vieilles habitudes de ces réunions : on n’y reçoit que les honnêtes femmes. Plus d’un miracle de beauté fraîchement débarqué de Paris ou de Londres, toute chargée des modes les plus nouvelles, se voit poliment refuser ces portes hospitalières. Vous êtes élégante et jolie, vos yeux sont les plus brillans du monde et vous dansez comme dansait Mlle Taglioni, c’est très bien fait ; mais vous n’entrerez pas dans ce salon, portez plus loin vos feux et vos flammes. Ce n’est pas nous qui vous renvoyons à vos conquêtes, ce sont nos usages un peu champêtres, c’est la loi qui a été faite par le dernier cardinal-évêque de Liége, le même évêque pourtant qui a fait placer dans ce bal les statues de Vénus et des Graces, de Psyché et de l’Amour ; le même évêque, mademoiselle ! — Et la dame, après avoir fait la moue à cette loi quelque peu bégueule, s’en va en maudissant ce village de mauvais augure. Naguère encore la coquette eût été prendre sa revanche à Bade, à Aix-la-Chapelle, aux bains de Lucques ; mais où ira-t-elle en ce moment ? – Grande question ! moi qui vous parle, j’ai vu, il y a des années, la brillante, la déjà fameuse et pétulante Lolla-Montès, encore toute froissée de ses chutes à la Porte-Saint-Martin, forcée de quitter Spa, faute d’un passeport. En vain elle criait, en vain elle montrait ses dents aiguës, en vain elle menaçait le commissaire de police de sa cravache innocente ; il fallut plier bagage et s’en aller sans voir le bal, oui, elle-même, Lolla-Montès, première danseuse de l’Académie royale de Musique et de la Porte-Saint-Martin ! disait sa carte, déjà armoriée des armoiries boiteuses à l’usage de ces dames. De dépit, la dame s’en fut en Bavière, où elle rencontra ce bonhomme de roi qui devait ressusciter pour cette foraine les dépenses folles, les privilèges et les scandales de Mme Du Barry. Pauvres hommes politiques du monde moderne ! ils suent l’eau et le sang pour maintenir sur leur trône croulant quelques-uns de ces rois restés debout ; tout d’un coup arrive une danseuse sifflée qui défait d’un clin d’œil les machines les mieux construites. La Bavière, encore à cette heure, se lamente de ce long carnaval de la royauté ; en vain a-t-on fait courir le bruit, il y a huit jours, du mariage de la comtesse de Landsfeld avec un jeune homme à peine échappé à sa première majorité : ce mariage, tout invraisemblable qu’il était, n’était pas vrai. Lolla-Montès fait mieux que cela en