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sions, ces voix, ces rencontres, ces orgies de la politique, ce vagabondage de la grande formule, comme disait M. Proudhon, eh bien ! on les rencontre en ce moment dans les lieux les plus cachés de l’univers civilisé. Dispute immense, clameurs à ne pas entendre tonner Dieu lui-même ! La grande formule se rencontre partout en ce moment cruel de l’histoire contemporaine. La grande formule se promène, la houlette à la main, dans les prairies brûlées du soleil ; c’est elle que vous voyez là-bas, à l’angle du chemin, sous le bouchon du cabaret, déclamant, furieuse, ses plus magnifiques promesses. Sur l’impériale de la diligence qui passe, sur le pont du navire à vapeur, la grande formule s’abandonne à ses rêves dorés ! Où fuir et comment l’éviter ? Post equitem sedet atra cura.

À force de précautions et par les moyens les plus ingénieux, quelques hommes sages parviennent, de temps à autre, à conjurer cet ennui, ce péril ; on va, on vient, on fait mille détours, on recherche les vallons les plus solitaires, les déserts les plus sauvages ; disons plus, et dût-on en sourire, on demande tout bas à ses amis quelque bel endroit favorisé d’un despote féroce qui regarde comme un attentat personnel le moindre cri de révolte contre les choses établies. Vains efforts ! vaine espérance du despotisme innocent ! remparts qui s’en vont croulant chaque jour ! — On avait il n’y a pas encore si long-temps, conservé avec un soin pieux de bons endroits bien calmes et bien défendus contre toutes les formules, grandes et petites ; vous aviez, par exemple, dans l’Italie esclave, le duc de Modène, homme à part, homme unique, original du premier ordre, qui n’avait pas voulu reconnaître la révolution de juillet, et qui, par Dieu, ne l’a pas reconnue ! En fait de formule, il n’y avait pas d’autre formule que cette belle formule à Modène : Taisez-vous ! Heureuse patrie du silence absolu ! on en riait autrefois ; nous la pleurons aujourd’hui. Vous aviez aussi Venise et Milan ; on ne parlait guère à Venise que de musique et de chansons, on ne parlait pas du tout à Milan. Florence même, la libérale et heureuse Florence, si prospère sous le meilleur des princes, était naturellement très disposée à ne pas se perdre en conjectures sur l’avenir de l’humanité ; elle se laissait vivre, et c’était déjà un grand travail. Le duché de Lucques, aussi bien que Parme et Plaisance, les domaines de Marie-Louise, élevée un instant à l’école politique de l’empereur, et fidèle du moins en ceci aux enseignemens de ce terrible mari, n’étaient pas sans quelques entraves gracieuses et pacifiques, contre lesquelles on poussait des hurlemens plaintifs, tant nous étions injustes et ingrats les uns et les autres pour ces charmans petits coins de terre dont le nom seul à prononcer est une joie. La république de Saint-Marin elle-même, en sa qualité de république, et tout le Piémont, qui depuis… et Rome, si