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gorges les plus désertes qui s’enfoncent dans ces montagnes, les plateaux les plus dépouillés qui s’étagent entre leurs pentes ravinées, offrent de tous côtés des vestiges authentiques de leur ancienne richesse forestière. Ici sont aux bords des torrens les ruines de forges dans l’horizon desquelles l’œil ne découvre plus un seul bouquet d’arbres ; plus haut, des tas de scories formées hors de la portée des cours d’eau attestent que des métallurgistes qui n’employaient de force que celle de leurs bras trouvaient dans le voisinage le combustible auprès du minerai. Aujourd’hui la statistique forestière du pays se résume en un petit nombre de chiffres tristement significatifs. Sur 58,557 hectares de bois, 18,835 appartiennent à l’état, et la valeur totale en est portée par l’administration à 942,750 francs, c’est-à-dire à 50 francs par hectare ; les communes possèdent 93,149 hectares de terrains de diverse nature, évalués en moyenne à 57 francs 20 cent. ; enfin les terres incultes comprennent, à titre de propriété domaniale, municipale ou privée, une étendue de 192,273 hectares. C’est un désert équivalent aux 47 centièmes de la superficie du département. La presque totalité de ces terres a, dans d’autres temps, été garnie de bois, et 100,000 hectares au moins peuvent revenir à leur état primitif. Ce serait sans doute une étude instructive que celle des procédés par lesquels s’est opérée cette vaste dégradation du territoire, et peut-être est-elle indispensable pour déterminer avec certitude les moyens de tout réparer ; mais ce qui ne saurait être l’objet d’un doute, ce sont les nouveaux avantages que le développement maritime de Port-Vendres attache au reboisement des montagnes du Roussillon. Il est superflu le remarquer l’excédant de valeur, que le mouvement maritime assure aux futaies susceptibles d’alimenter les constructions navales. Ces exportations de vins, de farines, auxquelles se prête si merveilleusement le pays, comportent l’emploi d’une immense quantité de merrain, et, pour qu’elles s’effectuent dans de bonnes conditions, il faut presque, qu’un arpent de bois corresponde à chaque arpent de vigne. Les flancs du Canigou recèlent d’ailleurs îles trésors qu’en feraient bientôt sortir les jeunes bois dont ils se repeupleraient. Ce sont les excellens minerais, aussi propres à la fabrication de l’acier qu’à celle du fer, qui, donnés à profusion par la nature, rendent aujourd’hui, dans vingt-cinq foyers catalans chômant faute de combustible une partie de l’année, de 2,000 à 2,500 tonnes de fer. Cette industrie est susceptible de se perfectionner et de s’étendre ; mais la condition principale du progrès est le reboisement. Quoi qu’il en soit, il n’est pas dit que de nouvelles économies, réalisées sur les frais d’extraction et de transport, ne pussent pas attirer les minerais du Canigou à Port-Vendres ; les y mettre en contact avec les houilles que l’Angleterre prodigue à la Méditerranée, ou les livrer comme lest à des bâtimens qui les porteraient à notre Port-de-Bouc,