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l’armée du nord et l’armée du sud, s’apprêtaient à déchirer la patrie Qu’était devenu ce drapeau rouge, noir et or si souvent arboré à Francfort depuis le 31 mars, et sous lequel on était si fier de marcher ? Voici d’un côté le drapeau noir et blanc, de l’autre le drapeau noir et jaune. Autrichiens et Prussiens se poursuivent d’une haine irréconciliable ; on se croirait au temps des gibelins et des guelfes. Tandis que M. de Gagern et M. de Schwarzenberg échangent des notes menaçantes ou se contredisent avec aigreur, les journaux de Francfort et de Berlin enveniment la lutte par une polémique furieuse. M. Gervinus, dans la Gazette allemande, dirige le feu contre les députés autrichiens ; ceux-ci forment un nouveau comité sous la présidence de M. de Schmerling ; tous les ennemis de la Prusse, les Bavarois, les ultramontains, une partie de la droite et la gauche entière, se joignent à eux. Il n’y a plus de partis politiques, il n’y a que des nationalités aux prises. République ou monarchie, monarchie constitutionnelle ou monarchie féodale, toutes ces questions, qui ont passionné jusqu’ici l’assemblée, passent désormais au second rang ; la lute n’est plus que dans ces deux mots : Prusse ou Autriche ! N’oublions pas un événement qui donne plus d’intérêt encore à cette dramatique controverse. Ebranlé par les trois révolutions de mars, de mai et d’octobre, effrayé du grand travail de reconstitution exigé par le bouleversement de l’Autriche, l’empereur Ferdinand Ier avait abdiqué le 5 décembre. Il voulait, disait-il, laisser cette tâche à des mains plus jeunes ; il pensait surtout qu’une royauté nouvelle serait mieux à l’aise, et qu’aucun engagement dans le passé ne l’empêcherait de faire face à toutes les difficultés d’une situation si grave. Tels étaient donc les deux prétendans à l’empire : d’un côté, le roi qui venait de donner à la Prusse une constitution toute libérale, de l’autre un jeune empereur de dix-huit ans, à qui son père avait laissé le trône pour sauver les destinées de l’Autriche. Le dernier acte de Frédéric-Guillaume IV augmentait l’ardeur de ses partisans ; l’abdication de l’empereur d’Autriche semblait imposer des obligations plus étroites aux défenseurs de François-Joseph Ier.

Singulier rapprochemens ! C’était le même jour que ces deux événemens avaient eu lieu. Le 5 décembre 1848, Ferdinand Ier signait son acte d’abdication, tandis que Frédéric-Guillaume IV octroyait sa charte à ses sujets. En descendant du trône pour y placer son fils, l’empereur d’Autriche avait l’air de rappeler à toute l’Allemagne l’antique gloire de la maison de Habsbourg. Le vieux monarque dans son acte d’abdication, et le jeune empereur dans les premiers décrets de son règne, inscrivaient solennellement, sans en omettre un seul, tous les titres de ces princes en qui l’Allemagne s’était personnifiée depuis des siècles. L’empereur d’Autriche s’intitulait roi de Hongrie et de Bohême, roi de Lombardie et de Venise, roi de Dalmatie, de Croatie, de Slavonie, de Gallicie et d’Illyrie, roi de Jérusalem, grand-duc d’Autriche, grand-duc