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qui la traversent sortent des montagnes, et chacun de ceux-ci porte inutilement à la mer des masses d’eau faites pour féconder encore de vastes campagnes. Ce n’est point ainsi que sont aménagées les eaux dans la huerta du royaume de Valence ; les lits du Xucar et du Guadalaviar, taris au profit de ce paradis terrestre de l’Espagne, ne portent pas à la mer, si ce n’est dans les jours d’hiver ou d’orage, une seule goutte d’eau. Si toutes les ressources de l’art moderne étaient appliquées en Roussillon à l’usage des eaux, les 19,000 hectares arrosés seraient doublés, ou, suivant les exemples de quelques vallées du bassin du Rhône, l’irrigation promenée par périodes décennales sur toute la plaine enrichirait successivement de son limon les terres arides et les quitterait après les avoir pénétrées d’une fraîcheur profonde. L’étude de ces grandes améliorations est encore à faire, et le meilleur temps pour s’y livrer serait certainement celui où l’amaigrissement du revenu public retient dans l’inaction nos plus habiles ingénieurs.

Le général Bernard, qui, pendant quinze années employées à établir le système de la défense du territoire des États-Unis, en avait beaucoup étudié la marine, n’hésitait pas à mettre au premier rang des ressorts de leur force navale l’immense consommation de porcs qui se fait dans le pays. L’usage général de livrer les jambons au commerce en a fait le principal élément de provisions de bord ; le matelot fait son ordinaire d’un aliment qui n’est dédaigné sur aucune table de prince, et la plupart des Français qui entrent en si grand nombre dans les équipages américains ne font que céder à l’attrait de ce régime. Ces faits si prosaïques ont une haute portée, car les causes les plus vulgaires sont celles dont les effets sont les plus étendus. La plus économique et la plus efficace des combinaisons d’armement est celle qui assure par l’abondance et le choix de la nourriture la vigueur et la santé des équipages. L’Angleterre se l’est dès long-temps appropriée ; c’est par là qu’augmentant la capacité de travail de ses matelots, elle réduit l’effectif de ses équipages et concilie l’économie des dépenses avec l’énergie du service. Quand nous marcherons à notre tour dans cette voie, une au moins des causes de l’infériorité de notre navigation sera réformée. L’excellence des salaisons des Pyrénées-Orientales met, à cet égard, de précieuses ressources entre nos mains, et peut-être fera-t-elle un jour de Port-Vendres, pour notre marine de la Méditerranée, ce que Cork est pour la marine britannique. Il y a deux cents ans que le Roussillon s’unissait à la France. De sombres forêts de sapins étendaient encore à cette époque un manteau de verdure sur la croupe du Canigou, et les teintes de leurs replis animaient la perspective qui se déroule à l’ouest de Perpignan[1] ; Les

  1. Marca Hispanica, l. I.