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c’est le tumulte révolutionnaire qui se propageait d’un bout de l’Allemagne à l’autre. Les sénateurs romains menacés par l’épée de Brennus n’étaient pas plus calmes sur leurs chaises curules ; seulement, au lieu de la fierté patriotique, c’est l’orgueil de leurs systèmes qui leur donne cette quiétude parfaite. Le sentiment des dangers de l’Allemagne ne leur fera pas retrancher une ligne de leurs projets de loi ; les difficultés sans nombre au milieu desquelles se débat la patrie ensanglantée ne leur ouvriront pas les yeux sur les embarras nouveaux qu’ils lui préparent.

Que faut-il de plus cependant ? Vienne est un champ de bataille. La révolution du 6 octobre, mal contenue par les impuissans efforts de l’assemblée nationale, a mis la ville entre les mains furieuses des démagogues ; les assassins du comte Latour ont été amnistiés par cette convention éperdue ; le désordre et la terreur sont au comble. Chaque jour, des milliers d’habitans émigrent ; les Autrichiens et les Croates, le prince Windischgraetz et le ban Jellachich, marchent de différens côtés sur Vienne, et l’on sait d’avance quels seront les excès démagogiques de la défense. Quand une ville en révolution est menacée par l’ennemi, il est permis de craindre les septembrisades. Pendant ce temps-là, la gauche du parlement de Francfort envoie à Vienne une députation de trois membres pour féliciter le peuple autrichien de sa glorieuse révolution : ces trois membres sont MM. Robert Blum, Maurice Hartmann et Jules Froebel. Les clubs les reçoivent avec enthousiasme, et M. Robert Blum, qui, en 1845, avait si bien su contenir l’émeute de Leipsig, ne craint pas d’excuser les crimes de la populace et de transformer en un incident de la lutte l’horrible assassinat du ministre de la guerre. Bien plus, enivré de la vue des barricades, forcé de satisfaire cette foule furieuse qu’il est venu complimenter, M. Blum va se donner bientôt l’épouvantable rôle de Danton ; au moment où le prince Windischgraetz commencera le siége de la ville, M. Robert Blum tiendra un de ces discours qui ont pour conclusion ordinaire des flots de sang répandus et des têtes plantées au bout des piques. Il dénoncera les modérés qui se battent mollement, il proclamera la nécessité des mesures énergiques, il parlera enfin comme parlait à Paris le ministre de la révolution, la veille au soir du 2 septembre. Qu’allait faire M. Robert Blum au milieu des clubs de Vienne, lui qui, par la modération de son esprit, s’était long-temps concilié l’estime de ses adversaires au parlement de Francfort ? Tel est l’entraînement des situations fausses, telle est la faiblesse de ces hommes qui se croient les chefs du peuple, et qui ont acheté ce misérable honneur au prix de la conscience et de la liberté. M. Robert Blum était-il libre ? sa conscience lui appartenait-elle encore, lorsqu’il justifiait les meurtriers du comte Latour, lorsqu’il poussait à de bouveaux crimes et s’apprêtait à jouer le rôle de Danton ? On peut être divisé sur les questions politiques ; notre pauvre humanité est si