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pays, et, pour venir aussitôt à la pensée qui nous préoccupe, que la liberté à Rome ne peut pas être la même qu’à Turin et à Paris.

On peut à Rome séculariser beaucoup de choses, on peut séculariser l’administration des finances et de la justice ; mais on ne peut pas séculariser le gouvernement, car le séculariser, c’est le détruire. C’est ce qu’avait fait M. Mazzini. Et qu’avons-nous été faire à Rome, sinon le contraire de M. Mazzini ? Nous y avons détruit un gouvernement séculier, et nous y avons rétabli un gouvernement ecclésiastique, le seul possible, tant que l’Europe tiendra à l’unité de l’église catholique personnifiée dans le pape, et tant qu’elle croira que le pape ne peut être indépendant qu’en étant souverain temporel. Tous ces principes sont étroitement liés les uns aux autres.

À Rome, il y a deux choses : la papauté et la ville. La ville peut fort bien prétendre qu’elle ne doit pas être immolée à la papauté, et que si la papauté ne peut représenter la chrétienté qu’à la condition d’être un honneur temporel, si le gouvernement pontifical ne peut pas, par sa nature même, être autre chose qu’un gouvernement ecclésiastique, la population romaine n’est pas tenue d’être toujours soumise à ce genre de gouvernement. Cette réclamation est juste ; mais l’Europe, de son côté, a droit de répondre à la population romaine qu’elle n’est pas tenue d’empêcher Rome d’être une ville autrichienne, et de garantir son indépendance contre les chances de la guerre. C’est à la ville pontificale, c’est à la métropole du monde chrétien que l’Europe assure une neutralité perpétuelle, ce n’est pas à la ville italienne. Ainsi de deux choses l’une ou Rome veut être une ville italienne et laïque, comme c’est son droit, mais alors elle rentrera dans la condition de toutes les villes terrestres, et sa destinée dépendra des chances de l’histoire humaine ; ou bien elle sera le siége de la papauté, et, à ce titre, perpétuellement neutre et sacrée, mais alors aussi elle consentira à perdre quelque chose de sa liberté laïque. L’Europe ne peut pas lui accorder à la fois les avantages du droit commun, c’est-à-dire la liberté laïque et les avantages du privilège, c’est-à-dire la neutralité perpétuelle. Rome voudrait être à la fois une cité laïque comme toutes les autres villes, et le siége de la papauté comme aucune autre ville. Cela serait commode, mais c’est impossible. Avoir la république à Rome et le pape au sein de la république, ce serait tout simplement, de la part de l’Europe, donner la papauté à la démagogie, après ne l’avoir voulu donner à aucune autre puissance. On ne veut pas que le chef de l’église chrétienne soit Autrichien ou Français ou Espagnol, et l’on consentirait qu’il fût mazzinien ! Ce serait une singulière indépendance, et ce serait bien la peine d’avoir pendant si long-temps protégé cette indépendance contre tous les états de l’Europe, pour la livrer à la puissance la plus fatale à l’Europe entière, à la démagogie !

Point donc de liberté laïque absolue à Rome, tel doit être le premier et le dernier mot de la politique française ; mais au-dessous de cette liberté laïque absolue, qui est le droit de tous les états européens, mais qui ne peut pas être le droit de l’état romain, il y a beaucoup de libertés relatives qui sont possibles. Il n’est pas nécessaire que toute l’administration romaine soit ecclésiastique et de ce côté le gouvernement français de 1849 peut hardiment invoquer les principes que le gouvernement français de 1832 avait fait prévaloir dans la conférence de Rome. Il n’aura pas beaucoup à y ajouter pour être aussi