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REVUE. — CHRONIQUE.

est la parole qui répond le mieux aux sentimens du pays ! Le général Cavaignac s’est perdu avant le 10 décembre pour avoir cherché sa force dans le passé d’il y a cinquante ans, et le président de la république s’affermit en remontant aux vieux souvenirs de notre religion et de notre monarchie.

Une république dont le chef parle de saint Bernard prêchant la croisade et de Henri IV converti peut sans aucun embarras, ce nous semble, annoncer qu’elle veut restaurer le pape à Rome.

Rome est prise. La durée du siège de Rome a étonné beaucoup de monde. Ce qui a surtout prolongé ce siège, c’est que les assiégés croyaient que le gouvernement français hésitait en les attaquant, et que nos soldats mêmes ressentaient une sorte de scrupule en leur tirant des coups de fusil. Il n’y a pas eu jusqu’aux précautions prises par M. le général Oudinot pour ménager les monumens romains, qui n’aient entretenu chez les assiégés l’illusion qu’ils se faisaient sur la sainteté prétendue de leur cause. Pour les corriger de cette erreur, il a fallu qu’à l’assaut du dernier bastion nos soldats leur prouvassent, par de terribles marques, qu’ils faisaient la guerre sérieusement, et que, mettant leur vie au jeu, ils y mettaient aussi celle de leurs adversaires C’est alors que les écailles leur sont tombées des yeux.

Ce sont, selon nous, des causes morales plutôt que des causes militaires qui ont prolongé le siège de Rome, et nous en tirons cette conclusion, que, dans les négociations qui vont s’ouvrir sur les conditions de la restauration du pape, il faut, dès le commencement, savoir exactement ce que nous voulons, afin de ne pas avoir de tergiversations et de ne pas inspirer d’illusions.

Nous parlons de négociations : nous croyons donc, malgré quelques tristes pronostics, que la France est encore capable de diplomatie, c’est-à-dire qu’on croit encore au dehors à sa puissance, qu’on redoute son action, et que, par conséquent, on tient compte de sa parole. La diplomatie, en effet, n’est pas autre chose que l’usage qu’on fait de la réputation d’un état. Un état qui est réputé fort a aisément de bons diplomates ; un état réputé faible aurait en vain pour négociateurs des Mazarin ou des Nesselrode, il n’obtiendrait rien.

Que voulons-nous à Rome ? que voulons-nous dans les états de l’Europe qui nous touchent de près ? Nous avons voulu, comme toute l’Europe, voir finir la phase démagogique, et nous nous sommes associés franchement aux efforts que l’Europe a faits pour mettre un terme à ces odieuses agitations ; mais, une fois la phase démagogique close et terminée, quelle phase devons-nous appeler de tous nos vœux et de tous nos efforts ? Une phase despotique ou une phase libérale Nous devons évidemment souhaiter une phase libérale ; nous devons souhaiter le succès du libéralisme à Rome, à Turin, en Allemagne. Le libéralisme n a pas été moins opprimé que l’ordre par la démagogie, et il a été plus outragé, car la démagogie se portait comme l’héritière du libéralisme, et jamais il n’a été plus à propos de répéter le vers de Crébillon :

Ah ! doit-on hériter de ceux qu’on assassine !

La politique de la France doit être une politique libérale ; mais la politique libérale est tenue d’être plus intelligente et plus éclairée qu’aucune autre, en ce sens que, visant partout à la liberté, elle ne vise pourtant pas partout à la même liberté. Elle doit comprendre qu’il y a divers genres de liberté selon le