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REVUE. — CHRONIQUE.

le bâton de maréchal, et il le respecte. Le général Cavaignac veut abolir le maréchalat sous prétexte que c’est une dignité. D’autres, dans son parti, ont voulu abolir la croix d’honneur sous prétexte que c’était un hochet. Cela a-t-il beaucoup plu ? Non ; aussi le général Cavaignac a donné des croix d’honneur. La croix d’honneur pourtant est une décoration, ce qui ressemble beaucoup à une dignité, ce qui dérange aussi l’égalité civile et militaire, ce qui sent un peu aussi la monarchie et l’ancien régime ; mais que voulez-vous ? le monde vit d’inconséquence, et il fait bien. On ne veut pas être maréchal, et on fait des commandeurs. L’inconséquence est le pourvoi du bon sens contre la logique.

Partout et toujours, chez le général Cavaignac, se décèle un soin minutieux à marquer la nuance du parti qu’il personnifie. Nous trouvons un nouvel exemple de ce soin dans la petite discussion qui a eu lieu à l’assemblée sur l’indemnité de 25 francs accordée aux représentans. On sait que quelques membres de l’assemblée proposaient de réduire le traitement législatif de 9,000 fr. à 6,000 fr. Cette proposition avait l’inconvénient de prendre la question par le petit côté. À nos yeux, en effet, la question de l’indemnité est une des questions qui doivent être réservées à la révision de la constitution, et nous n’hésitons pas à croire qu’il faut abolir l’indemnité ; mais il est certain que la question est plutôt une question de principe qu’une question de chiffre. La question de principe ne peut pas être traitée en ce moment, puisqu’il ne s’agit pas de toucher à la constitution. La réduction du chiffre est-elle une économie ? Elle nous semble peu importante. Est-ce une intention d’affaiblir l’indemnité, en attendant qu’on puisse l’abolir ? Nous aimons mieux la proposition sous ce point de vue ; mais, sous ce point de vue aussi, il est difficile de venir l’expliquer à la tribune. Le général Cavaignac, qui s’est empressé de se porter le défenseur de l’indemnité législative, a laissé de côté la question de chiffre, et il a eu raison. Il a défendu la question de principe, croyant par là marquer d’une manière précise la nuance du parti républicain. Or, c’est de ce côté que nous croyons que le parti républicain se trompe gravement.

On répète toujours que nous sommes une société démocratique, et que c’est pour cela que nos représentans doivent recevoir une indemnité. Entendons-nous bien : nous sommes et nous devons être une société démocratique, oui, mais nous ne devons pas être une société besoigneuse ; le besoigneux et le démocratique sont deux choses fort différentes. Une société démocratique peut assurément être libre, une société besoigneuse l’est difficilement, car elle ne l’est qu’au prix d’un perpétuel sacrifice ou d’un perpétuel expédient. Est-ce qu’on n’est républicain qu’à la condition de n’avoir pas de quoi vivre ? Il est vrai que ce mot de républicain n’a pas chez nous son sens naturel, le sens qu’il avait dans l’antiquité. Républicain, chez nous, veut dire égalitaire. Nous tenons plus à l’égalité qu’à la liberté, parce que nous avons malheureusement plus d’envie que d’orgueil. S’il s’agissait ici de faire de la controverse politique, nous nous ferions fort de prouver qu’avec cet amour excessif de l’égalité, qui est le propre du pays, nous ne sommes pas capables de la république. L’égalité, en effet, ne peut être maintenue dans une société qu’à l’aide d’un niveau, et ce niveau, il faut que quelqu’un le tienne d’une main ferme et vigoureuse. Sans cela, la liberté de chacun faisant son effet naturel, la diversité et par conséquent l’inégalité des caractères et des talens éclateront bientôt. Il y aura des grands et des