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REVUE. — CHRONIQUE.

la volonté divine ; mais, près de la misère, Dieu a mis le travail pour la soulager. Après Dieu, qui peut tout, mais dont les jugemens sont impénétrables, le travail est le meilleur et le plus efficace soutien de l’homme contre la misère, et le travail a cela de beau, qu’il y a en lui un principe de justice rétributive. Il récompense ou soulage l’homme selon ses mérites. Quand Dieu détruit la misère dans un coin du monde ou dans une famille, il semble que ce soit un pur effet de sa bonté. L’homme n’y est pour rien. Il récolte ce qu’il n’a pas semé. Le travail, au contraire, ne paie que ce qu’il a reçu. Avec ce principe de justice rétributive qu’il porte en lui, le travail est donc non-seulement le meilleur soutien de l’homme, c’est aussi un des plus puissans instrumens de l’ordre et de l’harmonie sociale ; mais, pour que le travail ait cette vertu conservatrice, il faut que le travail soit sincère : il ne faut pas, enfin, qu’il soit une aumône sous la forme d’une fatigue, car, ainsi transformé et altéré, le travail perd toute son efficacité. Il n’est honorable et salutaire à qui le fait qu’à la condition d’être utile à qui le commande.

À côté du travail, et pour l’égayer dans ce qu’il a de sévère, pour l’adoucir dans ce qu’il a de dur, pour en panser les plaies, pour en guérir les maux Dieu a mis la famille. La famille déteste le paresseux ; elle hait celui qui ne rapporte le soir à la maison que les suggestions de l’oisiveté et les mécontentemens de la débauche. Elle a des encouragemens pour l’activité honnête et sobre ; elle fleurit et elle s’enracine par ces vertus. L’homme forme sa famille à son image, mais la famille, à son tour, forme l’homme. L’ouvrier débauché et le libertin n’a point de famille ou n’en a qu’une à son image, c’est-à-dire misérable et désordonnée, et de cette famille ne sortiront non plus que des enfans de désordre. L’ouvrier honnête et laborieux a, au contraire, une famille régulière et paisible, ou la sueur du père s’essuie doucement sous les caresses de l’enfant, et de cette brave famille sortiront aussi de braves enfans. Dans les bonnes familles, l’assistance mutuelle n’est pas seulement un devoir qui s’accomplit sans répugnance, c’est l’instinct même de l’ame. Le père malade est soigné par sa femme ; pendant ce temps, les enfans travaillent un peu plus encore que de coutume. Gardons-nous de rien faire qui interrompe ces bonnes habitudes, qui dispense les parens du soin des enfans, et les enfans de l’assistance à prêter à leurs parens. Les anciens croyaient que, lorsque le lien des familles se relâchait, le lien de l’état se relâchait aussi : ils avaient raison. Il faut donc que les institutions de bienfaisance et de charité que crée l’état viennent au secours de la famille et fassent ce que la famille ne peut pas faire, mais il ne faut pas que ces institutions se substituent à la famille et la dispensent de ses devoirs et de ses charges. Il ne faut pas que partout le bureau des nourrices remplace les mères, la crèche publique le berceau domestique, la salle d’asile le foyer de la famille, le collége l’éducation paternelle ; car, par voie de conséquence, le concubinage remplacerait aussi un jour le mariage.

L’état doit aider la famille et l’individu, mais il ne doit pas les exempter de leurs obligations. La bonne philanthropie est celle qui est modeste, et qui ne croit pas que l’administration peut faire toutes choses mieux que ne le font les individus Les individus sont bien faibles, si vous les comparez à l’état ; cependant ces faiblesses sont fortes dans leur cercle. D’abord, l’individu agit pour lui-même, et cela lui donne une activité et une intelligence singulières, tandis