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réputation. On imaginerait difficilement la violence avec laquelle la couronne était alors directement et personnellement attaquée, en dépit de la prérogative constitutionnelle. Il parait que le roi George, comme le malheureux Louis XVI, aimait les arts mécaniques, et passait ses loisirs à tourner. Il était parvenu, dit-on, à fabriquer un bouton, et ce fut un sujet inépuisable de plaisanteries ; on ne l’appelait plus que le faiseur de boutons. Une caricature le représente refusant d’entendre la députation de la Cité, et lui disant : « Ne voyez-vous pas que je suis occupé à quelque chose de plus important ? » tandis que les courtisans admirent son travail, et disent : « Quel grand roi ! il n’y a pas en Europe un prince capable de faire d’aussi beaux boutons. »

Une coalition formidable se préparait contre lord North, et les revers de la guerre d’Amérique lui donnaient beau jeu. Dans les dessins du temps, l’Amérique apparaît toujours sous la figure d’une jeune femme indienne, demi-nue et coiffée avec des plumes. L’opposition, en Angleterre, avait d’abord pris parti pour la colonie et contre les rigueurs imprudentes dont elle était l’objet. Les patriotes américains avaient, comme on sait, proscrit l’usage du thé, dont les droits étaient une source considérable de revenus pour le trésor anglais, de même que nous avons vu récemment les patriotes de la Lombardie renoncer à fumer pour atteindre le trésor autrichien. Nous voyons dans une caricature la pauvre Amérique étendue par terre ; le chancelier lord Mansfield lui tient les deux mains ; lord North, armé d’une théière lui verse dans la bouche des flots de thé qu’elle lui rend au visage, et à côté on aperçoit l’Angleterre, qui détourne la tête en pleurant.

Ce fut la guerre d’Amérique qui jeta définitivement Fox dans l’opposition avec l’illustre lord Chatham (le premier Pitt), avec Burke, avec le colonel Barré. Tout le monde se souvient de la magnifique et brûlante sortie que fit lord Chatham contre l’alliance des Anglais avec les tribus indiennes. La guerre sauvage faite aux colons insurgés fut aussi flétrie par la caricature. On en a conservé une dans laquelle le roi George est représenté assis à côté d’un chef indien ; ils sont tous les deux occupés à ronger un gros os, et le roi tient à la main, en guise de coupe, le crâne d’un Américain. Ce royal assemblage a pour légende : Par nobile fratrum.

C’est à cette époque (1780) que nous rencontrons la célèbre émeute connue sous le nom de Gordon riots, parce qu’elle avait pour chef lord George Gordon. C’est un des épisodes les plus extraordinaires de l’histoire de la Grande-Bretagne ; ce fut ce qu’on appellerait aujourd’hui une émeute réactionnaire. La question de la liberté religieuse ou l’émancipation catholique, que nous n’avons vu résolue qu’en 1829, commençait déjà à s’agiter, et elle soulevait en Angleterre, en Écosse surtout, les plus violentes antipathies populaires. Ce fut un Écossais, lord George Gordon, membre des communes, qui devint, à Londres,