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de Paris, sauf la finesse de la chaussure. Cet élégant jeune homme nous conta ses prouesses de la journée, mit sur la table des plumes et des rubans ramassés au sac des Tuileries, un bout de galon du trône. Il faisait admirer fièrement aux demoiselles de la maison son costume d’émeute, joyeux comme un étudiant qui court pour la première fois avec un bonnet de pierrot et un faux nez au bal de l’Opéra. Un vrai gamin, « mon gamin, » disait-il, était venu le prendre pour l’emmener à un assaut que le peuple allait donner la nuit même au château de Vincennes. Il n’avait pu décider ses domestiques à le suivre. Il fit une dernière pirouette et sortit. Ainsi partaient pour l’inconnu l’homme de pensée et l’homme d’émotion, et en songeant à cette étourderie au milieu de cette ruine, à cette folie de carnaval délirant à travers la guerre civile, à ce fouillis de passions, d’intérêts, de convoitises, de haines, d’ignorance, de légèreté, de perversité, de chimères terribles, d’aspirations généreuses, de farces grotesques, qui allaient tournoyer dans le cratère de Paris et déborder sur la France, — je me demandais l’ame navrée : Qu’est-ce que cette révolution ?

La lecture du livre de M. de Lamartine vient d’évoquer en moi les visions funèbres et grimaçantes de cette heure d’agonie. Les faits qu’il retrace, les idées qu’il exprime, la composition littéraire, respirent également ce hideux et ridicule dévergondage qui fut le caractère des premières journées de la révolution de février. La narration est diffuse, tourbillonnante ; elle brouille tous les faits, tous les noms, toutes les dates ; devant l’inexactitude avec laquelle sont rapportées des scènes auxquelles M. de Lamartine a pris part, on dirait qu’un somnambulisme étrange lui a ravi l’observation de ce qui s’est passé sous ses yeux. Les idées les plus contradictoires se heurtent d’une phrase à l’autre, affirmées avec la même emphase dogmatique. C’est une perpétuelle hallucination, qui n’a d’unité que par l’apothéose constante que M. de Lamartine se décerne à lui-même. Ce livre, sans autorité comme document historique, absurde et faux comme inspiration politique, funeste au point de vue littéraire au nom de M. de Lamartine, est précisément par ses défauts la digne peinture d’un si triste épisode de notre histoire.

Le tableau désolé qui, dans la soirée du 24 février, m’apparaissait dans l’avenir, l’histoire le montre à tous maintenant dans le passé ; mais les yeux de M. de Lamartine ne se sont point ouverts ! Et cependant quels démentis les faits n’ont-ils pas donnés à toutes ces illusions ! Il a entrepris la révolution au nom de la liberté, et depuis dix-huit mois la France ne respire plus que sous le régime de l’état de siége ; — au nom de la fraternité, et depuis dix-huit mois la France est déchirée par une guerre de classes ; — au nom des intérêts des masses, et depuis dix-huit mois le chômage a affamé le travailleur ; — au nom du pro-