Non-seulement, comme nous l’avons vu, M. de Lamartine, pour son compte, s’est précipité dans la révolution avec une égale disette d’idées, mais les faits ont démenti ses prévisions et la force des choses a sans cesse violenté ses desseins. M. de Lamartine a eu la maladresse de mettre au frontispice de son livre cette présomptueuse épigraphe empruntée à Fabius : « Tous les nautonniers et les pilotes peuvent gouverner quand la mer est calme ; mais, quand la tempête se lève et que la mer troublée et les vents battent le navire, alors ce sont des hommes qu’il faut ! » S’il valait la peine d’analyser la partie du livre où M. de Lamartine raconte l’histoire du gouvernement provisoire, ce serait la plus humiliante réfutation de cette superbe forfanterie. Au lieu de maîtriser la tempête, M. de Lamartine fut le jouet de tous les flots. Le gouvernement provisoire fut le gouvernement du hasard ; on en veut recueillir l’aveu dans les dépositions des collègues de M. de Lamartine, dans les paroles de M. de Lamartine lui-même, rapportées par l’Enquête de l’assemblée nationale sur l’affaire du 15 mai. « Le peuple, dit M. Marie, était maître du gouvernement plus que le gouvernement n’était maître du peuple ; » mais il y avait des hommes qui étaient véritablement les maîtres de cette partie de la nation et de la population de Paris que les démagogues appellent le peuple. Ces hommes, c’étaient ces chefs de clubs, ces artistes en conspiration, ces soudaines et lugubres célébrités qui éclatèrent aux yeux du pays le jour où la révolution fut déchaînée ; ces hommes sont ceux qui firent le 17 mars, le 16 avril, 15 mai. Le gouvernement provisoire, esclave du peuple, fut obligé de compter, de négocier avec eux jusqu’au jour où l’assemblée nationale fut réunie. Contre ces influences, le gouvernement provisoire, c’est M. Crémieux qui parle, n’avait d’autre force qu’une force morale, une force de parole. » — « Quand on craignait un mouvement, continue M. Crémieux, quand la crainte était sérieuse, mon avis (c’était l’avis et c’était le rôle du gouvernement provisoire) était de faire les concessions qui n’engageaient l’honneur ni le courage d’aucun de nous, et qui auraient pour résultat de ne pas emporter le gouvernement provisoire. » Aussi voyez dans les grandes épreuves de ces tristes mois, dans ces mouvemens populaires qui remuaient dans Paris cent ou deux cent mille hommes, à quoi tint le sort, de la France ! Le 17 mars, si l’anarchie ne fut pas maîtresse de Paris, si le club Blanqui ne renversa pas le gouvernement provisoire, il faut en rendre grace à l’influence de M. Cabet. « Cabet parla sagement, dit M. Marie, et se borna à demander l’ajournement des élections. Le club Blanqui exigeait une délibération immédiate ; Cabet s’y opposa, et eut un grand ascendant. Or, conformément à la théorie de M. Crémieux, on sut reconnaître l’honnêteté de Cabet, et l’ajournement des élections fut prononcé. Le 16 avril, la conspiration avait un but plus précis :
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