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et les traversées d’Oran à Carthagène et de Carthagène à Oran se font simultanément en moins de quinze heures. Une escadre de blocus ne peut tenir en rade de Gibraltar ; appuyée sur Oran, elle interdirait la circulation entre la Méditerranée et l’Océan à toutes les marines secondaires de l’Europe, et imposerait à des ennemis puissans l’obligation d’ajouter beaucoup à leurs défenses dans la Méditerranée et de disséminer des forces qu’ils gagneraient à tenir réunies. La position navale d’où l’on fait le plus de mal à ses adversaires est toujours celle, d’où l’on peut servir le mieux ses amis. Oran, gardé par nous, deviendrait en temps de guerre le refuge de toutes les marines associées à la notre qui fréquentent la Méditerranée. L’Espagne surtout a donné, dans les sacrifices qu’elle a faits pendant trois siècles à cette possession, la mesure de l’action qu’exerce Oran sur les mers qui la baignent. En 1539, la politique avait, bien plus que la religion, déterminé la croisade de Ximénès, et Philippe V exprimait les sentimens unanimes de son peuple, lorsque, dans le manifeste qui précéda son expédition d’Afrique de 1732, il la justifiait par la crainte fondée que la position de la place et du port d’Oran donnait à la régence d’Alger des avantages formidables et funestes sur les provinces méridionales de son royaume. L’Espagne n’a rien à redouter de semblable de l’Oran de la France ; mais la puissance d’attraction qu’exerce cette ville sur ses nationaux, l’activité de la navigation entre son port et ceux de la Péninsule, font tout au moins de la possession d’Oran un moyen d’étendre et de fortifier les motifs qu’a l’Espagne de tenir à notre amitié.

Les relations avec l’Europe ne sont pas la seule base de l’importance maritime d’Oran ; elle se fonde aussi sur les intérêts les plus chers de nombreuses populations africaines. Cette ville était, au moyen-âge, le rendez-vous des caravanes du Tafilet, de Segelmèse, du royaume de Fez et du bassin du Niger ; des files de deux à trois mille chameaux y venaient, à des époques déterminées, à la rencontre des navires de l’Occident. Ce mouvement renaîtra ; les ramifications du commerce territorial se mettront en harmonie avec celles du commerce maritime. L’accroissement si remarquable de la population européenne n’est point un symptôme trompeur ; elle ne se porte ainsi que sur des lieux où de grands avantages doivent la fixer. Le nœud le plus solide entre les intérêts de l’Europe et ceux de l’Afrique occidentale se formera dans les murs d’Oran, et, placé sur le passage de tous les navires qui vont d’une mer à l’autre, son entrepôt deviendra l’un des mieux achalandés du monde commerçant.

La puissance et la prospérité promises à cette autre Alexandrie[1]

  1. Alexandrie d’Égype n’a aujourd’hui que 10,000 ames de plus qu’Oran.