Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sévères reprochèrent aux membres du cabinet de n’avoir pas refusé, même aux volontés du roi, cette démission qui était la capitulation du pouvoir devant la révolte et la reddition de la société à l’anarchie, de ne l’avoir pas refusée, dis-je, de ce droit imprescriptible de l’honneur qui ne peut pas transiger avec la fuite, avec l’ombre d’une lâcheté.

À l’heure ou le ministère fut changé, tout fut perdu. C’était trop tard pour la concession, trop tôt pour la répression du désordre. La sédition faisait la loi ; elle sentit qu’elle pouvait tout contre ce gouvernement qui se démolissait de ses propres mains au premier coup. La bourgeoisie parisienne s’y trompa un moment. Entraînée par la propagande réformiste, impatientée de la longue durée du cabinet du 29 octobre, elle crut tout fini et se livra à la joie. Plus tard, elle a attribué à l’accident des affaires étrangères la catastrophe qui mit une fin si brusque à sa courte espérance et consacra la victoire de l’anarchie. C’est l’erreur d’une société qui veut toujours se décharger de sa responsabilité collective sur le compte de l’éternel contumace qu’on appelle le hasard. On a expliqué, par des contre-temps notés de minute en minute, la série de faits qui se termina par l’abdication du roi. On a dit que, si le roi avait appelé d’abord M. Thiers ou M. Barrot à la place de M. Molé, l’orage eût été conjuré. Illusion rétrospective ! L’émeute serait montée toujours, parce qu’elle sentait que tout cédait à sa pression. Un ministère d’opposition ne pouvait la satisfaire, parce que ce n’était pas un cabinet, mais un gouvernement qu’elle voulait renverser Un ministère d’opposition ne pouvait pas la réprimer, parce que la force d’un pareil ministère est la popularité : croire que des hommes lancés au pouvoir par un soulèvement public, une fois entrés dans la citadelle, en fermeront immédiatement la porte sur eux et commanderont le feu contre les masses qui les suivaient, c’est attendre l’impossible de la nature humaine. Aussi je regarde comme superflues les controverses que l’on a engagées sur la question de savoir qui avait donné, le jeudi, l’ordre de cesser la résistance. M. Thiers ni M. Barrot ne pouvaient avoir ce jour-là la force morale nécessaire aux sévérités de la répression.

Cependant la résistance militaire fut possible un instant, un seul instant : ce fut dans la matinée du jeudi, lorsque le commandement fut enfin donné au maréchal Bugeaud. Les dispositions que le maréchal prit sur-le-champ auraient changé la fortune de la journée, si elles avaient été vivement exécutées. Il forma deux colonnes, à la tête desquelles il plaça le général Bedeau et le général Sébastiani. Le général Sébastiani devait marcher sur l’Hôtel-de-Ville par la ligne des quais ; le général Bedeau devait nettoyer le boulevard jusqu’à la Bastille. Dans le plan du maréchal, les deux corps auraient relié leurs opérations : un détachement de la colonne Sébastiani avait ordre de