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et vague curiosité. Barrée à la place de la Concorde par quelques escadrons de garde municipale, la foule refluait sur son cours en remplissant la rue de Rivoli, la rue Saint-Honoré et les grandes rues confluentes. Il n’y eut pas d’agression sérieuse. Les sociétés secrètes, ces cadres permanens de l’insurrection, avaient leurs soldats dans les rassemblemens, mais restaient sur l’expectative. Les tentatives de barricades furent insignifiantes. La garde municipale fut harcelée par des taquineries de gamins ; mais tout cela, sous le ciel bas et plombé de ce jour d’hiver, avait un caractère lugubre, et finit dans la soirée par quelques barricades rapidement enlevées et par quelques actes de dévastation.

La lutte commença le mercredi. On avait décapité l’action militaire en refusant de mettre le maréchal Bugeaud à la tête des troupes. On avait engourdi le commandement en le laissant aux mains de deux généraux, brillans officiers de l’empire, qui avaient donné maintes preuves d’énergie, de capacité, d’héroïsme, mais dont en ce moment l’un, le général Jacqueminot, était malade, et l’autre, le général Sébastiani, était resté accablé sous le poids d’une récente et épouvantable catastrophe de famille. On fit la dernière faute de ne pas concentrer au même endroit la pensée et l’action du gouvernement. Le cabinet s’établit en permanence au ministère de l’intérieur, si éloigné du théâtre des événemens, au lieu de rester et de centraliser la répression aux Tuileries, auprès du roi. Ce fut peut-être cet éloignement qui fit vaciller l’autorité au moment où les événemens réclamèrent les résolutions immédiates et décisives. Vers le milieu de la journée, on apprit aux Tuileries qu’un détachement de garde nationale composé de républicains s’était mis, sur la place des Petits-Pères, en travers d’un escadron qui allait charger des émeutiers. On vint demander l’autorisation de continuer la répression sur ces gardes nationaux, traîtres à la cause de l’ordre. Le roi recula devant ce parti extrême. Des scrupules honorables pour celui qui avait été, depuis 1830, l’homme de la garde nationale de Paris, des scrupules touchans et sages peut-être chez le père de famille arrêtèrent le roi. Il craignit d’accroître les malentendus entre lui et la garde nationale, indignement mystifiée par les factions. Il ne put pas supporter l’idée d’une tache de sang attachée au nom de sa famille. Du moment où on ne voulait pas vaincre la révolte, il fallait apaiser par des concessions l’opinion hostile. Le ministère fut changé. Il y a eu une controverse intime et douloureuse parmi les vaincus de février sur l’initiative de cette démission du cabinet, qui disloquait le pouvoir sous la pression et en face d’une émeute grossissante. Le roi se défendit avec émotion d’avoir dissous lui-même le ministère. Les amis des ministres furent convaincus que les ministres n’avaient pas déserté leur poste. Les plus