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jour du banquet, occuper dès le matin les points stratégiques qui leur étaient assignés d’après l’ancien plan du maréchal Gérard. L’armée de Paris était alors, non de cinquante-cinq mille ou de trente-cinq mille hommes, comme l’imprime M. de Lamartine, qui varie quatre ou cinq fois sur ce chiffre ; elle était de trente mille hommes, qui pouvaient donner sur le terrain un effectif de vingt à vingt-cinq mille combattans. Ce chiffre était alors suffisant pour garantir la tranquillité de la capitale. Il devait s’augmenter des régimens de cavalerie des garnisons voisines mandés et massés, aux Champs-Elysées au nombre de six mille chevaux, et de l’artillerie de Vincennes. Même dans le moment où il se décidait à prendre des mesures énergiques, le gouvernement manqua de foi, car il n’osa pas donner au maréchal Bugeaud le commandement militaire de Paris. Il recula devant l’impopularité que les basses attaques des journaux de l’opposition avaient soulevée contre notre premier capitaine. C’était d’avance se laisser désarmer par l’ennemi.

Les chefs de l’opposition furent autant surpris que le ministère par le programme des républicains. M. Odilon Barrot n’en avait point encore connaissance, lorsque M. Vitet et M. de Monry allèrent lui demander l’explication d’une violation aussi flagrante du traité. M. Barrot et ses amis, dont les yeux s’ouvraient trop tard sur la fatalité de leurs alliances républicaines, eurent au moins la fermeté de renoncer au banquet, qui, devant l’interdiction du gouvernement, ne pouvait plus être que le rendez-vous d’une insurrection. Seul, parmi les adversaires importans du pouvoir, M. de Lamartine, entouré de quelques députés sans consistance, ne recula point devant cette chance de guerre civile. Nous avons vu avec quelle violence il exhorta l’opposition à aller au banquet. Quant à lui, son parti était pris, il aspirait la révolution et prophétisait la république. Cette violence de M. de Lamartine, cette soif de combat qui s’éleva en lui est d’autant plus surprenante, qu’elle contraste avec les appréhensions sérieuses et la modération réelle que montrèrent dans cette circonstance quelques-unes des têtes du parti républicain. M. Marrast, à qui j’annonçai, le lundi avant la séance dans la salle des Pas-Perdus de la chambre des députés, les mesures que les ministres venaient de prendre en conseil, me répondit ces curieuses paroles : « Les malheureux ! nous allions faire quelque chose avec les bourgeois, et ils nous jettent dans les bras des ouvriers ! » Je vois encore l’expression de dépit et d’effroi qui se peignit sur son visage à ces perspectives de lutte qui enflammaient alors M. de Lamartine d’une indéfinissable ardeur. M. Flocon fit ce jour-là, ainsi que le mardi et le mercredi des efforts persévérans pour empêcher une prise d’armes parmi ses amis. Enfin, M. Louis Blanc lui-même prononça dans un conciliabule républicain, la nuit du lundi au mardi, un discours chaleureux