Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la Madeleine pour délibérer sur la conduite à suivre dans l’affaire du banquet. La question n’était plus même alors celle qui s’était débattue entre le gouvernement et l’opposition à propos du droit de réunion. Il ne s’agissait plus seulement du banquet, il s’agissait d’une de ces processions populaires qu’on appelle dans le langage révolutionnaire des manifestations. Le National et la Réforme avaient publié le programme de la journée et réglé la marche des masses qu’on appelait dans la rue. C’était le procédé que nous avons vu tant de fois renouveler depuis, au 16 avril, au 15 mai, au 13 juin. Le gouvernement venait de répondre à ce défi par l’interdiction du banquet. Entre le gouvernement défendant légalement l’ordre menacé et les factions préparant un de ces complots dont le 24 février nous a dit le secret, et dont M. Ledru-Rollin a brutalement dévoilé un jour l’insigne hypocrisie, que ferait l’opposition ? M. Berryer, lui, l’adversaire naturel et par principe du gouvernement de juillet, reculait devant le péril de la société. M. de Lamartine, lui, pour qui « la question de gouvernement était une question de circonstance plutôt que de principe, » n’eut pas ces scrupules. Il conseilla les partis les plus violens. « C’est, dit-il, un acte de citoyens que nous voulons faire, et où la France veut être notre témoin par les yeux du peuple de Paris ! Le reste n’est plus dans nos mains, messieurs ; le reste est dans les mains de Dieu. Je ne sais pas si les armes confiées à nos braves soldats seront toutes maniées par des mains prudentes, je le crois et je l’espère ; mais, si les baïonnettes viennent à déchirer la loi, si les fusils ont des balles, ce que je sais, messieurs, c’est que nous défendrons de nos voix d’abord, de nos poitrines ensuite, les institutions et l’avenir du peuple, et qu’il faudra que ces halles brisent nos poitrines pour en arracher les droits du pays. Ne délibérons plus, agissons. » Vainement M. de Lamartine allègue-t-il qu’il ne put entraîner ses collègues aux extrémités où sa passion l’emportait, et pense-t-il se disculper en disant que les conséquences qui pouvaient découler de son discours furent écartées. Au moment où il prononça ces paroles, M. de Lamartine fut dans son ame fauteur et complice d’une révolution, et le jugement sévère qu’il porte aujourd’hui lui-même sur son discours pèse sur sa conduite dans la journée du 24 février, qui n’en fut que la traduction en acte. « Lamartine livrait quelque chose au hasard. La vertu ne livre rien qu’à la prudence, quand il s’agit du repos des états et de la vie des hommes. Il tentait Dieu et le peuple. Lamartine se reprocha depuis sévèrement cette faute. C’est la seule qui pesa sur sa conscience dans tout le cours de sa vie politique. Il ne chercha à l’atténuer ni à lui-même, ni aux autres. C’est un tort grave de renvoyer à Dieu ce que Dieu a laissé à l’homme d’état : la responsabilité. Il y avait là un défi à la Providence. L’homme sage ne doit jamais défier la fortune, mais la prévoir