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et assez impérieuses pour le décider à jeter son pays dans les hasards d’une révolution ? Mais, afin d’apprécier la puissance de ces motifs, creusons d’abord ce mot révolution, qui est depuis soixante ans l’énigme, le scandale et le fanatisme de l’humanité.

Il en est du mot révolution comme de tous les termes dont s’emparent les passions aveugles et superstitieuses : les masses en adorent le son sans en rechercher le sens. Depuis soixante ans, nous avons entendu présenter la révolution comme le symbole et le gage des affranchissemens légitimes et de l’amélioration de l’espèce humaine. Parce que les idées au nom desquelles la France de 89 brisa l’ancien régime ont paru généreuses et grandes, on a sanctifié le mot révolution, et peu à peu, dans la conscience de la France, il s’est fait une confusion déplorable entre le mot, les vérités et les nobles buts de 1789. À la longue, le vulgaire a fini par croire que révolution signifiait toujours liberté, patriotisme, gloire, progrès. C’est sous l’influence de ce préjugé que le peuple et des enthousiastes égarés ont si souvent couru à l’insurrection comme aux appels de l’héroïsme ; c’est la même illusion qui fait que les nasses ont tant de fois salué les révolutions accomplies comme des bienfaits et des triomphes ; c’est ce mensonge terrible qui, à chaque mécontentement qui gronde en lui, à chaque ambition qui s’élève dans son sein, présente au peuple une révolution nouvelle comme unique espoir et dernière perspective.

Ce préjugé est la superstition odieuse et fatale du XIXe siècle. S’il reste encore dans la jeunesse française quelques esprits élevés, quelques ames fières, leur devoir, leur tâche est de chasser cette idole de l’imagination populaire. La révolution n’est pas une philosophie, une doctrine, une vérité, un bien ; elle n’est pas but ; elle est moyen. C’est le plus incertain, le plus redoutable, le plus funeste des instrumens par lesquels s’accomplit le mouvement des choses humaines. Il y a dans le monde moral, commue dans le monde physique, des forces fatales qui éclatent et tuent, quand la sagesse et la vigilance de l’homme cessent de les maîtriser et de les conduire. Les révolutions sont les situations où les grandes forces du monde social échappent à la prévoyance et à l’influence de la raison humaine. Les révolutions dans l’histoire sont des interrègnes entre le moment où un peuple cesse de se gouverner et le moment où il ressaisit le gouvernement de lui-même : effrayant intervalle, où tous les élémens contradictoires, ennemis, dissolvans, que l’autorité contenait dans la société, s’entre-choquent et s’entre-détruisent, sans autre médiateur que la force, sans autre règle que le hasard. La révolution, c’est l’abdication de la raison et du libre arbitre humains, et c’est l’invasion et l’empire absolu de la fatalité dans le gouvernement des peuples. Au milieu de cette éclipse, le progrès s’égare ou s’arrête ; car le progrès, ce sont les améliorations