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LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE

GUYOT.

Décidément, ça chauffe, et on ne plaisante plus.

VOIX DANS LA FOULE.

Vive Galuchet !

RHETO.

Galuchet ?

GUYOT.

Il paraît que c’est le triomphateur.

VI.
(Entre Galuchet, porté sur un fauteuil par quatre hommes du peuple. Des épaulettes d’officier-général et plusieurs décorations sont attachées à sa blouse en guenilles. Il est couronné de feuilles de chêne, et il tient à la main une belle épée. Derrière lui, un homme de haute taille, à figure sinistre, porte au bout d’une pique une tête de vieillard. La foule armée traîne dans ses rangs des gardes nationaux prisonniers. Çà et là flottent sur les baïonnettes les étendards accoutumés de la guerre civile. Le cortège s’arrête ; les tambours qui le précèdent font un roulement. Galuchet se lève et prend la parole.)
GALUCHET.

Citoyens, si vous voulez savoir la chose, la voici : Je suis Galuchet, natif de la Bourbe, débitant d’allumettes chimiques sans garantie du gouvernement, fils d’une mère quelconque, père inconnu. Donc, voyant que la patrie appelait ses enfans, j’ai emprunté chez l’armurier du coin un fusil de chasse pour voir à descendre aussi quelques aristos et autres moineaux voleurs. (Rires.) Une, deux, me voilà derrière la barricade avec mon fusil à deux coups, bien chargé. La troupe paraît. On lui envoie des baisers. Vive la ligne ! Ça ne prend qu’à moitié. La ligne reste l’arme au bras ; pas la moindre crosse en l’air. Alors, que nous disons, lâchons-lui des dragées. Pan, pif, paf ! Il en tombe deux ou trois ; les autres courent sur nous, et à leur tête un vieux général tout doré. On recule ; mais un moment ! J’étais dans un petit coin, derrière les pavés, auprès d’une petite ouverture qui laissait passer mon œil et mon fusil. Le général vient se poser là tout juste. Il veut parlementer ; moi qui n’aime pas les discours, je me fatigue et je lui tire mon premier coup. Ça lui pique la jambe, et ça lui coupe la parole. Il se couche sur le pavé et crie : En avant ! Non, que je dis, l’ancien, en arrière ! et je lui plonge une autre prune dans la rate. Ni ni, l’enfant de Paris est vainqueur du vieux crâne. Les soldats se précipitent. On les reçoit un peu bien. Le Vengeur était là ; il avait pris ses mesures. Feu de toutes les fenêtres, feu de toutes les portes, feu de tous les toits et de toutes les caves. Les coups de fusil partaient de dessous les pavés et semblaient pleuvoir du ciel. Ah ! mes amours ! le joli coup d’œil ! Nos frères de l’armée, réduits des trois quarts, demandent à faire des réflexions et s’esquivent. Le Vengeur fait tuer ceux qui vivent encore, par humanité, et pour qu’ils ne recommencent pas… C’est son genre. Ensuite il monte sur la barricade, il m’appelle ; on présente les armes, on bat le tambour, et il m’embrasse. — Galuchet, me dit-il, quel âge as-tu ? — Dix-neuf ans. — Tu as bien mérité de la patrie, et elle te récompensera, foi de Vengeur. En attendant,