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LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE

L’ÉPICIER.

Vous me paierez cela.

JEAN BONHOMME.

Ça me sera plus facile qu’à toi de payer ton terme. (Ils se montrent le poing.)

LE BOURGEOIS.

Messieurs ! messieurs, ce n’est pas le moment de se disputer. Sauvons l’ordre et la république.

JEAN BONHOMME.

Allez vous promener, vous, avec votre république. C’est du propre ! Elle nous a bien accommodés ! Tous les jours des banqueroutes et tous les mois des coups de fusil ! Que ceux qui l’ont faite la défendent eux-mêmes. Je ne me ferai pas crever la peau pour elle.

LE BOURGEOIS.

Eh ! monsieur, je ne tiens pas plus que vous à la république. Il s’agit de l’ordre et de la propriété…

BAISEMAIN, très râpé.

C’est-à-dire des propriétaires.

LE BOURGEOIS.

N’est-ce pas la même chose ?

L’ÉPICIER.

Oui, c’est la même chose, et je trouve que je serais assez bête de mourir pour eux, moi qui n’ai d’autre propriété que mon corps et ma boutique.

LE BOURGEOIS.

Votre boutique sera pillée.

BAISEMAIN.

Vous insultez le peuple, monsieur. (Élevant la voix.) Croyez-vous que la blouse et la veste ne valent pas l’habit noir ?

LE BOURGEOIS.

Mais, monsieur…

BAISEMAIN, plus haut.

Vous êtes un insolent, monsieur !

LA PORTIÈRE.

À bas l’aristocrate !

PLUSIEURS VOIX.

À bas l’aristocrate !

LE BOURGEOIS.

Je ne suis pas aristocrate. Je respecte le peuple, j’en suis. J’ai bien le droit de soutenir le gouvernement.

BAISEMAIN.

Non, monsieur. Quand le peuple parle, il faut obéir.

JEAN BONHOMME.

À bas le gouvernement ! À bas les avocats, les braillards, les bourgeois qui font des lois et qui mettent des impôts ! Je demande un dictateur qui jette tout à la porte. Ça sera bien fait. Si le gouvernement veut qu’on le soutienne, pourquoi a-t-il renversé l’autre ?

BAISEMAIN.

Il n’y a pas de gouvernement. Il n’y a que la volonté du peuple.