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LA VIE MILITAIRE EN AFRIQUE.

véritables forêts se dressent sur vos têtes. La Chiffa s’est frayé, à travers ces rochers, un chemin tortueux ; elle reçoit dans sa course vagabonde les cascades qui tombent des sommets escarpés. Tout à coup enfin l’horizon s’élargit vous sortez de cette prison, et vos yeux éblouis s’arrêtent sur les longues collines de la Mitidja, sur la mer qui se montre par la coupure du Mazafran, et sur cette immense plaine, si belle quand on la voit de loin. Une heure après, vous êtes à Blidah. Mohamed-ben-Yousef, le voyageur dont les dictons sont restés populaires en Algérie, a dit de Blidah : « On vous appelle une petite ville, moi je vous appelle une petite rose. » Rien n’est plus exact. Blidah se dresse avec une grace ineffable dans ses bois d’orangers, dont les parfums la trahissent au loin. Les Français l’ont embellie, à ce qu’ils disent, avec un art tout français ; eh bien ! malgré leurs embellissemens, Blidah est restée une ville charmante, la petite rose de Mohamed-ben-Yousef.

Enfin, après trois cents lieues de route et six mois de bivouac, nous atteignîmes notre bonne ville d’Alger. Le matelot n’est pas plus heureux quand il touche la terre après la tempête. La vie d’Alger, c’était pour nous une véritable renaissance ; nous ne pouvions nous rassasier du spectacle que nous avions sous les yeux. La vie et le mouvement d’un peuple affairé, ces maisons de pierre, ces cafés, ces journaux, ces bruits de la France, ces lettres qui nous attendaient au retour, ce sont là des émotions qu’il nous serait impossible de raconter, tant est grande la joie intime du devoir dignement accompli, tant la privation ajoute à la jouissance ! Si vous rencontrez jamais des gens blasés sur les jouissances de la vie, envoyez-les faire une campagne d’hiver en Afrique.

Dans cette ville d’Alger, où l’on retrouve à la fois la grace de Paris et le charme de l’Orient, il y a surtout une certaine terrasse qui rappelle les enchantemens des Mille et une Nuits. Là, quand le poids du jour est tombé, vous allez respirer les brises rafraîchissantes, tout en contemplant cette mer et ses mille étincelles, tandis qu’au-dessus de vos têtes se dressent comme suspendues toutes ces maisons aux blanches murailles, et dans la baie même d’Alger ces collines de roses et de verdure, ces montagnes, ces horizons vaporeux qui vont se perdre au pied du Jurjura, dont les crêtes dénudées viennent couper la ligne bleue du ciel. Avec quel charme nous nous abandonnions à la contemplation de ce splendide paysage, et aussi, il faut l’avouer, à d’autres joies plus bruyantes ! comme la vie nous paraissait douce ! Mais est-il besoin d’ajouter que notre bonheur fut de courte durée ? La vie militaire est ainsi faite, et l’heure du départ y suit toujours de près l’heure de la halte. Huit jours après être entrés à Alger, nous nous remettions en marche pour courir à de nouveaux hasards.

Pierre de Castellane.