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LA VIE MILITAIRE EN AFRIQUE.

III.

Notre campagne, commencée par des combats, allait s’achever par ces courses d’hiver qui peuvent compter parmi les plus pénibles travaux de la guerre d’Afrique. Pendant que les deux colonnes réunies opéraient dans les Flittas, l’insurrection avait gagné les environs d’Orléansville. À ces nouvelles, M. le colonel de Saint-Arnaud se hâta de retourner dans sa subdivision. Fort heureusement pour nous, la révolte éclata de ce côté au moment même où M. le maréchal Bugeaud, qui s’en venait d’Alger par Teniet-el-Had, arrivait dans le pays. Comme sa cavalerie n’était pas en nombre, M. le maréchal prit avec lui les escadrons du général de Bourjolly, qui devait faire venir des renforts de Mostaganem, puis il partit dans la direction de Thiaret.

Les rigueurs de l’hiver étaient venues nous apporter un surcroît de fatigues. À l’horrible chaleur avait succédé un froid glacial sur ces hauts plateaux qui dominent de six cents pieds le niveau de la mer. Nous avions déjà reçu la première pluie d’automne, celle que les Arabes appellent la pluie des agneaux. Un mois se passa, puis vinrent les pluies aux larges gouttes, les pluies d’hiver ; les mauvais jours allaient commencer.

Nous étions alors dans le pays des Kerraïch. M. le maréchal devait gagner le haut Riou, tandis que, par une marche de nuit, nous allions essayer de surprendre Abd-el-Kader, qui se trouvait dans nos environs. On partit au soir, sous les ordres du général Yousouf, par un temps couvert ; toute la nuit fut employée à traverser les montagnes et les défilés. La marche était pénible, et sur les trois heures une pluie fine, de ces pluies hypocrites qui mouillent sans dire gare, vint nous geler sur nos chevaux, qui glissaient dans des sentiers de deux pieds de large. Au petit jour, on fit halte ; un de mes camarades et moi nous nous blottîmes dans une touffe de palmiers nains, et nous bûmes sournoisement un peu d’eau-de-vie, trésor précieux en pareil cas. Déjà nous cédions à ce sommeil de plomb qui s’empare de tous vos sens quand, après une nuit de fatigues, une nuit sans sommeil, le premier froid, précurseur du point du jour, se fait sentir. Malheureusement la halte fut courte. Au bout d’une heure, il fallut remonter à cheval, et par des ravines affreuses, par la pluie et la grêle, regagner la colonne du maréchal Bugeaud. Vers les quatre heures, nous débouchâmes sur les hauteurs du Riou, que nous descendîmes par un sentier étroit et glissant, à demi tracé le long de ces collines de terre glaise. Enfin, après mille peines, nous atteignîmes le bivouac du maréchal, et les cordes furent tendues dans des terres détrempées, car à cette heure il pleuvait comme il pleut en Afrique, et le ciel s’était changé en torrens. Pendant six