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La colonne d’Orléansville vint enfin nous rejoindre, nous amenant, avec une belle et bonne infanterie, deux escadrons de chasseurs et un escadron de spahis ; cette vaillante troupe, sous la main vigoureuse du capitaine Fleury, avait gagné en discipline sans rien perdre des précieuses qualités de l’Arabe. Dévoués à leur capitaine, ils le suivaient sans hésiter et se jetaient en avant, ne doutant jamais ni d’eux-mêmes ni de lui. Quand ils passaient debout sur leurs étriers d’argent, montés sur leurs bons chevaux, les haïks flottans et le burnous rouge jeté par-dessus l’épaule, on eût dit ces hommes d’armes dont les vieilles chroniques nous font de si merveilleux portraits. La moitié de l’escadron avait été mis hors de combat en moins de six mois ; c’était le meilleur brevet d’un courage dont nos spahis allaient bientôt nous donner des preuves nouvelles. Nous avions là de vigoureux renforts, et nous pouvions prendre notre revanche sur les Flittas.

Dans le courant d’octobre, les deux colonnes réunies se remirent en marche vers le pas des Flittas, et allèrent s’établir au bivouac de Touiza. L’on y fit un séjour qui permit au général de Bourjolly d’envoyer la cavalerie au fourrage sous l’escorte d’un bataillon d’infanterie.

À peine sorti de la plaine de la Mina, vous entrez dans la vallée que l’on appelle la Touiza des Beni-Dergoun, du nom de la tribu qui l’habite. Cette vallée précède les montagnes des Flittas parallèles à la mer, et va en s’évasant du côté de l’est, où elle forme entre ces montagnes un bassin d’une assez grande étendue, couvert de lentisques, coupé çà et là de clairières et de champs de blé. Au sud, et faisant face à Touiza, se trouve le défilé de Tifour ; à l’ouest, à deux lieues, s’ouvre le passage de Zamora ; à l’est, dans le fond de ce grand bassin naturel, serpente un chemin qui coupe la montagne et conduit à l’Oued-Melab dans la direction du Gerboussa. C’est le chemin qui aboutit au khamis des Beni-Ouragh. Sur les hauteurs, à notre gauche, nous devions trouver de la paille. Bientôt, en effet, nous aperçûmes les petites buttes de terre qui indiquent les meules ; car, pour empêcher que le vent n’emporte la paille hachée sous le pied des chevaux lorsqu’on dépique le blé, les Arabes en forment des tas de trois ou quatre pieds de circonférence environ sur cinq pieds de haut, et recouvrent le tout d’épaisses mottes de terre, ce qui la met à l’abri du vent et de la pluie. Une heure suffit à construire un grenier sur le champ qu’ils ont récolté. C’est au moins l’usage des Kerraïch et des Flittas.

Nous étions en train d’arracher les mottes de terre et de remplir les sacs de campement, tandis que les hommes en vedette surveillaient l’ennemi, au fond du bois, sous nos pieds, lorsque du camp même (on le voyait à notre droite avec ses tentes blanches) nous entendîmes partir de nombreux coups de fusil. En même temps, des broussailles voisines surgissait un immense hurlement. Bientôt, au fracas des tam-