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LA VIE MILITAIRE EN AFRIQUE.

on marchait toute la nuit, et au jour on châtiait quelques insoumis. Chaque matin, les jours ordinaires, la cavalerie s’en allait au fourrage avec toutes les bêtes de somme. Quelquefois elle était inquiétée par les cavaliers ennemis ; mais alors, dans ces belles plaines, le combat devenait un brillant exercice : on faisait l’école des tirailleurs comme au Champ-de-Mars, et c’était un spectacle animé, une vraie partie d’échecs. D’autres fois on sortait pour enlever le grain des silos, afin d’approvisionner la colonne ; alors le ban et l’arrière-ban des tribus amies étaient convoqués ; vieillards, femmes, enfans, tout arrivait, les uns avec de méchans ânons et leurs sacs de laine, d’autres avec des mulets. Une fois sur le lieu des silos, chacun de sonder la terre avec des baguettes de fusil. Venait-on à sentir le vide dans ce terrain mouvant, aussitôt on creusait avec la pioche, et pour que la veine fût bonne, on rencontrait une ouverture de la grosseur d’un homme, qui allait en s’évasant : là, enfoncés dans la terre, on trouvait le blé et l’orge à foison. Ainsi sont construits ces greniers d’abondance. Dans chaque tribu, les mêmes familles sont chargées de construire les silos, conservant par tradition cet art que leur ont enseigné leurs pères. L’ardeur que les soldats mettent à leurs recherches est vraiment curieuse. Il faut voir leur empressement à se glisser dans l’étroite ouverture, remplissant, à moitié accroupis, les premiers sacs, jusqu’à ce que le vide soit fait et permette à leurs camarades de leur venir en aide. Et aussi comme ils sortent de terre tout couverts de sueur et de poussière, mais toujours rians et contens ! C’est que tous comprennent que la nourriture de leurs chevaux est la grande affaire ; que, si le cheval manque au cavalier, celui-ci sera forcé de faire à pied une longue route, sans compter l’heure du combat, qui peut se présenter chaque jour.

Deux cents cavaliers arabes, presque tous Medjihers ou Bordjias[1], formaient notre marghzen, sous le commandement de Mustapha-ben-Dif, leur chef. Marghzen, en arabe, veut dire magasin, arsenal ; de là le nom donné aux cavaliers de l’état. C’est la force sur laquelle l’autorité s’appuie. Parmi ces deux cents cavaliers, il y en avait de médiocres ; mais cinquante au moins étaient d’intrépides compagnons, vivant de la guerre et familiarisés avec tous les dangers. Mustapha-ben-Dif leur imposait son autorité et son courage. À le voir, dans la vie de chaque jour, doux et simple, on eût pris Mustapha pour un bon bourgeois du Marais ; mais au premier danger, à la première colère, lorsque, selon l’expression arabe, la poudre avait parlé, soudain ces yeux calmes se dilataient affreusement, ces veines se gonflaient sous la pression ardente d’un sang impétueux ; le sauvage reprenait ses instincts, le lion retrouvait ses fureurs.

  1. Les Medjihers et les Bordjias sont des tribus arabes des environs de Mostaganem.