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razzias aventureuses, par lesquels se préparait la pacification de l’Algérie. Il n’est pas d’ailleurs aujourd’hui sans à-propos de dire au milieu de quels travaux, de quels périls quotidiens se sont trempés et aguerris nos soldats et nos officiers d’Afrique. Nos orages politiques ont mis en relief quelques-uns des hommes formés à cette âpre école, et fait apprécier l’esprit de ces vaillantes colonnes dont le dévouement vigilant assura et conserve encore à la France une magnifique conquête. Se retourner vers les temps de fatigues et de luttes qui ont précédé en Algérie le régime actuel, ce n’est donc pas se distraire tout-à-fait du présent : il y a là tout un passé que nos discordes civiles ne sauraient nous faire oublier, et qu’elles doivent même nous porter à interroger avec plus de curiosité.


I.

On touchait à l’automne de 1845. Depuis quelque temps déjà, une légère fermentation s’était manifestée parmi les Flittas[1] : l’impôt ne rentrait qu’avec difficulté ; des assassinats avaient été commis, et de nombreux rapports arabes signalaient les menées sans cesse renaissantes du chériff Bou-Maza. M. le général de Bourjolly, commandant la subdivision de Mostaganem, jugea nécessaire de se porter au centre du pays pour mettre fin à ce commencement de désordre. Rien, du reste, n’indiquait que l’on dût rencontrer la moindre résistance. Au dire de ceux qui se prétendaient les mieux renseignés, quelques amendes et la présence des troupes auraient bientôt fait rentrer tout le monde dans le devoir, et nous devions revenir à Mostaganem sans avoir tiré un coup de fusil.

Douze cents hommes d’infanterie, cent quarante chevaux du 4e chasseurs d’Afrique et deux pièces d’artillerie de montagne bivouaquaient donc, le 18 septembre 1845, sur le territoire des Béni-Dergoun, au pied des plateaux des Flittas, dans un endroit connu sous le nom de Touiza, et, le lendemain 19, à trois heures du matin, les clairons et les trompettes, en sonnant la diane, faisaient retentir les échos de la vallée. À la première fanfare, tout s’éveilla. Le fantassin, à peine debout, roula sa petite tente sur son sac déjà fait, pendant que le chasseur d’Afrique, salué par les joyeux hennissemens de son cheval, allait retrouver ce fidèle compagnon de ses fatigues et lui porter la provende du matin. Les mulets patiens se laissaient gravement charger de leurs

  1. Les Flittas sont une grande et puissante tribu dont le territoire commence à quinze lieues au sud de Mostaganem. Ce territoire touche d’un côté à la plaine de la Mina, de l’autre aux limites du Tell. Les Flittas sont divisés en plusieurs fractions, dont l’une, les Cheurfas, habitant les terrains les plus difficiles, doit à son fanatisme d’avoir une grande action sur le reste de la tribu.