redoutable célébrité ; c’est par là que les invasions, la guerre, la peste entraient autrefois dans la Transylvanie ; il rappellera aujourd’hui une lamentable histoire de plus. Arrivés à ce point, les fuyards s’arrêtèrent ; il fallait faire défiler les chariots un à un ; il y eut un moment d’encombrement et de panique ; ceux qui restaient à la queue craignaient de se trouver exposés aux attaques des Széklers. Souvent aussi chemin, tournant brusquement avec les contre-forts des montagnes séparait tout à coup les soldats qui formaient l’avant-garde du reste de la colonne, et ceux de l’arrière-garde pensaient qu’on allait les abandonner. Un moment, on crut que l’un des ponts en bois jetés sur les torrens qui coupent la route s’écroulait sous la masse des fuyards, el il y eut un cri terrible. Enfin, le déifié fut franchi ; dans la nuit du lendemain, on arriva à Kinien. C’est un chétif village d’une trentaine de maisons, qui forme la première station des troupes russes en Valachie. Il y avait là une garnison de Turcs et de Russes, qui accueillirent les fugitifs avec une hospitalité cordiale. Les officiers cédèrent leurs tentes et leurs lits aux femmes et aux enfans ; on réchauffa les malades, on soigna les blessés, et l’on put songer seulement alors à tout ce qu’on avait laissé derrière soi.
Le lendemain de l’évacuation des Russes, Bem était entré dans Hermanstadt. Cronstadt avait été occupé en même temps. Seule dans la Transylvanie entière, la citadelle de Carlsbourg resta au pouvoir des impériaux. Ces événemens produisirent une grande impression en Hongrie et au dehors. Ils inspirèrent une confiance enthousiaste à la diète de Debreczin. En Europe, on s’étonna que les Russes se fussent laissé battre par les insurgés, et surtout qu’ils ne parussent pas songer à prendre une revanche immédiate. Les fuyards, dispersés dans les principautés du Danube, portèrent au loin la frayeur. Dans les campagnes, au moindre bruit, sur un simple mouvement de troupes, on s’attendait à voir le redoutable Bem et ses bandes fondre sur le pays. À Bucharest, le peuple était persuadé que les fêtes de Pâques ne pourraient pas être célébrées cette année, parce que la ville serait prise et saccagée avant ce temps. Bem, dit-on, avait écrit au général Luder « qu’il viendrait à Bucharest manger les oeufs de Pâques avec lui, » et la garnison turque de Galacz se hâta de renforcer celle de Bucharest. Bem cependant ne songeait pas à faire des coups de théâtre, mais à s’établir par la terreur en Transylvanie, de manière à pouvoir sans danger étendre la guerre dans le Banat[1]. Il se montra sans pitié pour les malheureux habitans qui étaient restés à Hermanstadt. Le pillage dura trois jours entiers, et la brutalité du soldat fut sans bornes. Des miliciens
- ↑ Bem sortit de la Transylvanie par la vallée de la Marosh et se porta dans la basse Hongrie, à la rencontre de Jellachich : de nombreux combats furent livrés à l’embouchure de la Marosh, dans la Theiss, près de Szégédin, et non Esseg, comme on l’a imprimé dans la première partie de cette étude.