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épuisés. Le nom de Bem jetait l’épouvante, et les exploits féroces qu’on racontait des hussards de Kossuth effrayaient toutes les imaginations. Du haut de la citadelle, on apercevait au loin dans la campagne, la fumée et les rouges lueurs des villages incendiés. Tout le pays n’était que plaie et ruine, pour reprendre les expressions que j’ai citées à propos des ravages des Tartares dans les temps passés. Entendons ici un témoin oculaire, un prisonnier de Bem, comme nous avons entendu le comte Bethlem Niklos, prisonnier des Tartares.

« Le 22 décembre dernier (écrit au Times un officier anglais établi depuis quelques années en Transylvanie), sur la nouvelle de l’approche des Magyars, j’arrivai à Clausenbourg pour y garantir ma maison des violences et du pillage que je redoutais. Les troupes impériales évacuaient en toute hâle la ville et se retiraient sut Carlsbourg. Le soir du 25, l’armée de Bem se précipita dans la ville et l’occupa sans coup férir. Le lendemain, je fus arrêté chez moi, et jeté en prison deux jours après, on me fit partir pour Pesth avec quelques prisonniers, Personne ne voulait me dire pourquoi j’étais arrêté, mais seulement que Kossuth ferait de moi ce qu’il voudrait. À une journée de Pesth, nous apprîmes la nouvelle du combat de Raab et le passage du Danube par les impériaux. Le chemin était encombré de fuyards ; la diète, l’armée, des milliers de paysans, se réfugiaient à Debreczin. À Kisty-Szaccas ; il eut une halte, et l’on me conduisit devant Kossuth. Je croyais vraiment toucher à ma délivrance, mais le dictateur, entrant en fureur aux justes représentations que je lui adressai, ordonna qu’on me fit passer à un conseil de guerre et qu’on m’exécutât aussitôt après. »

L’officier resta plusieurs jours entre la vie et la mort ; heureusement pour lui, les impériaux poursuivaient vivement les insurgés et laissaient peu de loisir pour les conseils de guerre. Les soldats montraient le prisonnier au peuple ameuté, qui demandait qu’on le lui livrât. Cependant un des anciens du village lui glissa à l’oreille d’avoir bon courage, qu’on s’employait auprès de Kossuth, et que peut-être il ne serait pas fusillé. On le conduisit en effet à Debreczin, et le ministre de la guerre ordonna qu’on le ramenât sur la frontière moldave, hors de la Transylvanie. Ce trajet ne fut pas moins périlleux :

« À Marosvasarhély, dans la prison où je reposais, on égorgea à côté de moi un prêtre valaque et son neveu ; on avait ordonné de les conduire à Debreczin, mais les soldats voulaient s’épargner cette corvée. Six Saxons eurent le même sort et furent tués, à bout portant, par les soldats chargés de leur garde. Peu de convois de prisonniers arrivaient à leur destination ; on les égorgeait dans quelque défilé. Le lendemain, 12 mars, en traversant les dernières forêts qui nous séparaient de la frontière, nous entendîmes tout à coup l’explosion d’une fusillade. Un quart d’heure après, nous arrivâmes à une clairière, où je trouvai les cadavres encore chauds de dix-sept Valaques ; les Séklers qui venaient de les fusiller se réjouirent avec mon escorte, et comme on leur demanda si leurs prisonniers leur avaient donné quelque sujet de plaintes : — Non vraiment,