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qui pâle, mais toujours souriant, le regardait prendre place à la table et se disposer à jouer seul contre lui. Chacun d’eux défit à la fois un paquet de cartes. Tchekalinski mêla et Hermann coupa ; puis il prit une carte et la couvrit d’un monceau de billets de banque. On eût dit les apprêts d’un duel. Un profond silence régnait dans la salle. Tchekalinski commença à tailler ; ses mains tremblaient. À droite, on vit sortir une dame ; à gauche, un as.

— L’as gagne, dit Hermann, et il découvrit sa carte.

— Votre dame a perdu, dit Tchekalinski d’un ton de voix mielleux.

Hermann tressaillit. Au lieu d’un as, il avait devant lui une dame de pique. Il n’en pouvait croire ses yeux, et ne comprenait pas comment il avait pu se méprendre de la sorte.

Les yeux attachés sur cette carte funeste, il lui sembla que la dame de pique clignait de l’œil et lui souriait d’un air railleur. Il reconnut avec horreur une ressemblance étrange entre cette dame de pique et la défunte comtesse…

— Maudite vieille ! s’écria-t-il épouvanté.

Tchekalinski, d’un coup de râteau, ramassa tout son gain. Hermann demeura long-temps immobile, anéanti. Quand enfin il quitta la table de jeu, il y eut un moment de causerie bruyante. Un fameux ponte ! disaient les joueurs. Tchekalinski mêla les cartes, et le jeu continua.


CONCLUSION.


Hermann est devenu fou. Il est à l’hôpital d’Oboukhof, le no17. Il ne répond à aucune question qu’on lui adresse, mais on l’entend répéter sans cesse : trois — sept — as ! trois, — sept, — dame !

Lisabeta Ivanovna vient d’épouser un jeune homme très aimable, fils de l’intendant de la défunte comtesse. Il a une bonne place, et c’est un garçon fort rangé. Lisabeta a pris chez elle une pauvre parente dont elle fait l’éducation.

Tomski a passé chef d’escadron. Il a épousé la princesse Pauline ***.


P. Mérimée.