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pour Louis XIII, ne sera point ici un simple hors-d’œuvre, si, malgré la légèreté de la forme, elle facilite l’intelligence d’événemens qui, devaient se dénouer dans les murs de Perpignan.

« L’un, des grands qu’on dit avoir été arrêté à Madrid, écrit le maréchal à M. de Chavigny, ce fut pour avoir dit, dans une assemblée où on parloit des affaires présentes, que Charles-Quint étoit saint, vaillant et prudent ; Philippe second, prudent, saint et non vaillant ; Philippe troisième, saint, non prudent ni vaillant, et que Philippe quatrième n’étoit ni saint, ni prudent, ni vaillant.

« Je crois que vous savez bien que je ne m’arrête guère aux petites historiettes, et que les contes de Peau-d’Ane ne font pas grand effet dans mon esprit ; et encore que je sache qu’ils ont encore moins de crédit dans le vôtre, si est-ce que je ne me sçaurois empescher de vous faire un conte qui peut passer pour histoire, puisqu’il est très véritable.

« Il y a six ou sept ans qu’une religieuse de l’ordre de Saint-François nommée la Madre de Carrion, en grandissime estime de sainteté, fut visitée par le roy de Castille, qui prit goût en sa conversation, encore que la première fois elle lui dît, de la part de Dieu, qu’il eût à changer de vie et de ministre, a défaut de quoi elle prévoyoit qu’il lui devoit arriver de grands malheurs.

« Le comte d’Olivarez, sachant cela et voyant que le roy alloit assez souvent voir cette fille, lui suscita des gens qui l’accusèrent d’estre magicienne, et ainsy la fit prendre par l’inquisition et enfermer dans un autre monastère, avec défense de la laisser parler à personne, où elle est demeurée jusqu’au printemps dernier avec tant de vertu, de piété, de douceur, de modestie et d’humilité, que toutes les autres religieuses l’aimoient tendrement et la respectoient comme une personne extraordinaire.

« Un matin, comme elles sortoient toutes de faire le service divin elle les appella avant que sortir du chœur et estant toutes autour d’elle, elle se mit à genou, leur demanda pardon des fautes qu’elle avoit pu faire depuis qu’elle estoit en leur maison, les conjurant de prier pour le repos de son ame, Dieu lui ayant fait s avoir la nuit qu’elle mouroit le lendemain à trois heures du matin (ce qui arriva ponctuellement), et les autres religieuses, attendries de cette nouvelle, se mirent à pleurer et à la consoler. Mais elle leur dit que sa mort n’étoit pas ce qui l’affligeoit, mais que c’étoit qu’au même temps elle avoit veu le roy de Castille perdant toutes ses provinces, tous ses peuples se révoltant contre lui, au point qu’à peine il lui restoit terre qui fût sienne pour se retirer.

« Ici j’achève mon conte, et vous commencez, si je ne m’abuse, à vous mocquer de moi : mais toujours, si cette prophétie venoit à être véritable, ne serois-je pas celui de qui il y auroit le plus à rire. »