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requiert la force publique ; la police ne commande pas à un soldat et lève pas un écu. En un mot, aucune force ne se meut hors du cercle tracé par la loi.

Ce que M. de Sartines, ou Fouché, ou M. Decazes avaient principalement à faire, c’était la police politique. Or, la police politique n’existe plus et n’a plus de raison d’être. À quoi bon désormais chercher à savoir ce que l’on dit dans tel salon, ce que pense tel personnage important ou secondaire, lorsque tout le monde parle et pense tout haut ? La police désormais n’a plus à s’occuper des opinions et ne surveille que les actes. Elle observe et recherche, non dans l’intérêt d’un parti ou d’un homme, mais dans l’intérêt de la paix publique et de la loi. Connaître et prévenir au besoin les complots contre la sûreté de l’état ou contre la sécurité des personnes, voilà son unique fonction. La tâche est sans doute assez grande encore, mais elle se subordonne. La police ainsi entendue n’a pas l’étoffe d’un ministère ; elle se rattache, comme une annexe indispensable, à l’administration intérieure du pays.

La police est liée à l’administration. On ne pourrait pas les séparer sans s’exposer à négliger celle-ci, et par conséquent à exagérer celle-là Le même ministre, pour se former une idée juste du gouvernement, doit être en contact tout ensemble avec les hommes et avec les choses. Un point de vue sert à éclairer l’autre. La connaissance des intérêts conduit à celle des opinions. On est mieux préparé à pénétrer les desseins les plus secrets des partis et des individus, quand on sait avec quelles nécessités ils sont aux prises. Par contre, l’on résout plus sûrement les difficultés administratives, quand on n’a plus rien à apprendre sur les passions qui peuvent les compliquer. Il y a telle question d’impôt qui n’eût pas amené, en d’autres temps, un seul procès-verbal, et dont les excitations de l’anarchie ont fait une cause de guerre civile.

La police est liée tout aussi étroitement à l’action morale du pouvoir. Le ministre qui surveille les réunions publiques et les sociétés secrètes doit avoir dans ses attributions l’étude de la presse, les théâtres, les télégraphes et les secours publics. Il faut que tous les moyens préventifs dont la société dispose contre la pensée du crime et contre l’excès de la misère se trouvent dans ses mains, afin qu’il puisse accommoder son action aux circonstances. Ne lui donner que des moyens répressifs, ce serait faire uniquement du ministre un gendarme. Sans reproche pour un corps qui rend d’inappréciables services, je voudrais prendre un peu plus haut le type du pouvoir.

Un ministère de la police détaché du ministère de l’intérieur supposerait, par voie de conséquence, un agent supérieur autre que le préfet et égal au préfet dans chaque département. Si l’on veut, en effet, spécialiser ce genre de service, il faut que les subordonnés, comme le chef, n’aient pas leur attention partagée par d’autres devoirs, et qu’on les choisisse en raison du dévouement tout particulier dont ils ont à faire preuve. Voyez pourtant où cela mène. Deux préfets, deux administrations, deux états-majors, deux directions par département ! Je ne parle pas du surcroît de dépenses ; mais je demande s’il y aurait quelque chose de bien sérieux et de bien moral en matière de gouvernement à multiplier et à faire prédominer ainsi partout l’action de la police, et si c’est là le piédestal que l’on veut donner à l’ordre républicain.

Il y a des hommes qui, après avoir vécu vingt ou trente ans dans l’opposition,