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zizanie ni division, et qu’il ne siége plus sur les bancs de la majorité que des saints remplis par avance des douceurs de la béatitude céleste ? Nous ne voulons pas aller jusque-là. Au lieu d’attribuer à la majorité la paix du paradis, nous lui attribuerons seulement la paix relative des ménages depuis la suppression du divorce ; on ne s’adore pas, mais on se supporte. Peut-être, si ion pouvait se séparer, céderait-on à la tentation de le faire ; mais, comme on ne le peut pas, on se résigne, et la résignation produit la paix.

Le secret de la paix en ménage, c’est de ne pas trop chercher les explications et les éclaircissemens. Les gens qui se demandent à chaque instant : Comment nous aimons-nous ? un peu, beaucoup, pas du tout ; ces gens-là sont insupportables, excepté dans les idylles. On n’est pas marié pour se faire chaque matin une déclaration d’amour ; on se marie au contraire pour s’épargner ce soin. On substitue l’engagement à la sensibilité, et on a raison, car la sensibilité est capricieuse. L’engagement seul est bon, parce qu’il repose sur la loi et sur la nécessité. Ce sont ces mœurs familières et rudes que nous prenons la liberté de conseiller à la majorité. Qu’elle se garde bien de viser à l’idéal en fait d’union et de concorde : qu’elle vise seulement au possible. Il y a dans le sein de la majorité des esprits agités et inquiets qui veulent être à part : c’est un malheur et un tort ; mais ces esprits ne veulent pas faire défection, ils veulent seulement faire une nuance. Nous conseillons donc à la majorité de supporter leur caprice sans trop de mauvaise humeur. Il faut être impitoyable pour les mauvais desseins ; mais il faut être indulgent pour les vanités. Si nous n’aimons nos amis, si nous n’accueillons nos voisins qu’à la condition qu’ils soient des anges, nous aurons peu d’amis, et nous nous brouillerons avec nos voisins. Nous aurions mieux aimé que les membres de la majorité qui ont cru devoir former le cercle constitutionnel ne fissent pas un manifeste : nous ne trouvons pas que ce manifeste soit nécessaire et opportun, c’est là son grand défaut, et ce défaut peut nuire à ses auteurs ; mais il ne peut guère nuire à la majorité que si elle le ressent avec le défaut contraire.

Pour notre part, si nous avions une querelle à faire au manifeste du cercle constitutionnel, ce serait une querelle théologique que nous lui ferions. La querelle théologique contient, il est vrai, aussi une querelle politique. Nous lui reprocherions de nier l’existence du mal dans le monde. Quiconque nie l’existence absolue du mal, dans le monde fait, selon nous, deux mauvaises choses : d’abord il rend les hommes ennemis nécessaires les uns aux autres, puisque tout le mal qu’ils voient et dont ils souffrent, ils doivent se l’attribuer les uns aux autres et s’en venger les uns sur les autres, ne pouvant pas l’attribuer à la nature des choses. En second lieu, quiconque nie l’existence du mal rend Dieu et la vie future inutiles, attendu qu’il n’est plus nécessaire qu’il y ait un être supérieur qui corrige dans un autre monde les vices de celui-ci, et qui même dans celui-ci vienne en aide à nos misères : il faut seulement s’arranger pour avoir de bonnes lois, le mal étant un accident humain au lieu d’être un obstacle absolu. Nous ne dirons pas aux signataires du manifeste constitutionnel qu’ils ne sont pas chrétiens, s’ils nient le péché originel cela peut-être les toucherait peu comme hommes politiques ; mais nous leur dirons que, même en politique, quiconque nie l’existence absolue du mal risque de donner au peuple des illusions en commençant et d’amers dépits en